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Anna Reinhold (Ménesthée), Emöke Baráth (Hélène), Fernando Guimaraes (Thésée), Brendan Tuohy (Créon), Rodrigo Ferreira (Pirithoüs) et Valer Barna-Sabadus (Ménélas déguisé en Elisa).


Où l’on découvre Elena de Cavalli : un opéra créé à Venise en 1659, endormi depuis d’un long sommeil oublieux et ressuscité cette année par le Festival d’Aix-en-Provence dans une très heureuse initiative. Pour être exact, un premier éveil avait point en 2006 à la Cornell University, sous l’égide de la musicologue Kristin Kane – mais il s’agissait d’une version de concert. Cette fois, Elena opère son grand lever et se dévoile à nous dans toutes ses séductions que le passage à la scène amplifie : le livret de Nicolò Minato (d’après Giovanni Faustini) est un bijou d’esprit enlevé et de vivacité dans les dialogues, la partition est constamment remarquable (airs et ensembles nombreux et variés, métriques et écritures stimulantes et renouvelées) et renvoie à la fois au meilleur Monteverdi – pour sa sensualité vaporeuse – et au Cavalli de La Calisto – pour sa fantaisie vibrionnante. Car ce dramma per musica joue bel et bien la carte de la comédie, en de permanentes ruptures de ton qui maintiennent en éveil et l’oreille et l’esprit. Alors, certes, il y a... 23 personnages (sans compter les ours  et leurs chasseurs !) – que se répartissent ici 13 chanteurs – et trois heures de musique que notre écoute moderne et immobile, rend peu à peu assez longues. Mais cette profusion peut se résumer en quelques mots : tout est bon pour (re)conquérir la belle Hélène – se travestir en femme pour mieux l’approcher (Ménélas), la kidnapper (Thésée), envoyer son bouffon jouer les espions (papa Tyndare), assassiner ses rivaux pour rester seul en lice (Ménesthée), déclencher une guerre pour la récupérer (Castor et Pollux, ses frères adorés). De quiproquos en rebondissements, les surprises et les rires fusent, les émotions amoureuses aussi...

Pour réaliser la partition – avare de détails quant à son instrumentation –, Leonardo García Alarcón et sa Cappella Mediterranea sont un choix aussi virtuose que foisonnant : le continuo se partage entre lirone, luth-clavecin, orgue, théorbe ou archiluth, les couleurs de cornets et de flûtes se font feutrées ou acides, les percussions à peau suscitent la danse et le nerf... Et partout, c’est l’excellence et l’harmonie, dans le jeu et l’esprit : aussi présent à ses claviers qu’à l’architecture de l’ensemble, aux enchaînements sans temps mort et aux multiples chanteurs, le chef fédère avec brio cette multiplicité de talents. Face à lui, un plateau de jeunes chanteurs d’une égalité miraculeuse ; toutes les tessitures sont là, de la basse au soprano et jusqu’à trois contre-ténors, parmi lesquels le sopraniste Valer Barna-Sabadus qui assume sans mièvrerie aucune la tessiture aiguë et subtilement fleurie de Ménélas. On remarque aussi particulièrement Emöke Baráth, une Elena fruitée, et Emiliano Gonzalez Toro, un Iro irrésistible de drolerie et fascinant de revirements vocaux parfaitement maîtrisés. Mais c’est avant tout la qualité d’ensemble qui emporte l’adhésion, vrai travail d’équipe que parachève une direction d’acteurs pétulante. Musicien et acteur, Jean-Yves Ruf signe une mise en scène aux tempi maîtrisés, qui effleure l’imaginaire du théâtre élisabéthain – avec son arène entourée de talenquères (décor de Laure Pichat) – et d’un Orient de fantaisie (costumes de Claudia Jenatsch), via une forêt de cordages rouge sang pour abriter les errances ariostiennes des personnages, et favorisant toujours la lisibilité de l’intrigue touffue. Tout concorde donc au succès de cette belle Elena.

C.C.


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Debout : Mariana Flores (Junon), Solenn' Lavanant Linke (Pallas), Emöke Baráth (Vénus), Majdouline Zerari (la Vérité) et Anna Reinhold (la Paix). Au sol : Christopher Lowrey (la Discorde). Photos Patrick Berger.