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Klaus Florian Vogt (Le Sire Huon de Bordeaux), Roxana  Constantinescu (Fatima), Arttu Kataja (Scherasmin).


Le Théâtre du Capitole de Toulouse vient de donner la preuve qu’il n’est pas aussi impossible que l’on dit et répète de monter Obéron de Weber. Certes, depuis sa création londonienne et la mort de Weber qui la suivit de peu, l’œuvre a connu des avatars très chaotiques, de Paris à Dresde, en passant par des révisions par Gustav Mahler et Bruno Walter, exploitant – selon la vocation des scènes qui ont tenté une résurrection – le versant grand spectacle ou le côté romantico-initiatique de l’œuvre, sorte de Flûte enchantée bis, et sacrifiant le texte à la musique ou le contraire.

Toulouse, dans une production signée Daniele Abbado pour la mise en scène, Angelo Linzalata pour la scénographie, Luca Scarzella pour la vidéo et surtout Ruth Orthmann pour la dramaturgie et l’adaptation des dialogues parlés, pourrait bien avoir trouvé le compromis idéal qui consiste à dégraisser l’œuvre de sa dizaine de personnages annexes grâce à un narrateur qui fait avancer l’action, endossant au passage les habits des personnages secondaires indispensables. Une belle réussite, clarifiant tout à fait le propos, rendant l’histoire sinon crédible, du moins plausible, et surtout la condensant au point qu’il ne reste quasi plus de longueur.

La réussite de cette option repose beaucoup sur le choix comme récitant de Volker Muthmann. Ce comédien, metteur en scène, danseur, acrobate, allemand représente l’idéal personnage doué pour tout, véritable « joker » selon l’expression de Daniele Abbado, capable de créer en un clin d’œil climats, personnages et éléments. On peut juste s’étonner qu’à aucun moment il ne soit cité dans la distribution alors que c’est lui, et comment !, qui tient le spectacle.

Difficile de réunir une distribution idéale pour chanter la version allemande d’Obéron. La réputation d’« inchantabililité » des deux rôles principaux n’est pas fausse. Le choix de Klaus Florian Vogt (Huon) et Ricarda Merbeth (Rezia) est certainement aujourd’hui le meilleur. Tous deux ont assumé avec beaucoup de vaillance et plus ou moins de bonheur leurs redoutables airs. Vogt, spécialiste de Lohengrin et Parsifal passé par Tamino, a effectivement les qualités requises pour la vocalité héroïque du rôle ; il n’en domine cependant pas tout à fait la virtuosité et son « Von Jugend auf in dem Kampfgefild » manquait un peu de l’exubérance qui sied mieux aux voix latines et était, le soir de cette représentation, techniquement un peu périlleux. La Prière, beaucoup plus dans ses cordes, était en revanche un magnifique moment de recueillement. Ricarda Merbeth est certes une spécialiste des rôles dramatiques du répertoire allemand, mais si l’immense Scène et Air « Ozean, du Ungeheuer ! » ne lui pose pas trop de difficultés, elle n’a pas su en nuancer suffisamment les différentes séquences pour montrer par quelle gamme de sentiments passe Rezia pendant sa longue attente du sauveur. Sa cavatine « Trauere, mein Herz » et la vision « Warum must du schlaffen » étaient tout à fait convaincantes. Les autres interprètes, avec des parties se situant dans la tradition mozartienne, éteint tous parfaits : Arttu Kataja et Roxana Constantinescu pour le couple de serviteurs Scherasmin / Fatime, le rayonnant Obéron de Tansel Akzeybek et le Puck exubérant de Silvia de La Muela.

Le spectacle de Daniele Abbado, on l’a dit, est une belle réussite, pas seulement par l’esthétique de ses costumes (Giada Palloni) et l’utilisation de la vidéo, particulièrement utile sur la scène grande ouverte – avec seulement une passerelle pour faire descendre le chœur dans ses interventions –, pour évoquer paysages et climats, par exemple dans le duo clé « An der Strande der Garonne » entre Scherasmin et Fatime, mais aussi (et grâce à l’adaptation des dialogues) pour donner à cet Orient de fantaisie comme on le concevait à l’époque romantique – avec ses étapes situées à Bagdad ou Tunis via la Mer Méditerranée – la part de résonance actuelle que l’on attend. Rani Calderon, chef israélien aujourd’hui directeur musical de l’Opéra de Santiago du Chili, responsable de la réalisation d’Euryanthe l’an dernier sur la même scène, a dirigé avec beaucoup de soin et de finesse cette merveilleuse partition qui fait une part énorme aux bois et aux cuivres, les deux points forts de l’Orchestre national du Capitole.

O.B.
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Arttu Kataja (Scherasmin), Roxana Constantinescu (Fatima), Klaus Florian Vogt (Le Sire Huon de Bordeaux), Ricarda Merbeth (Rezia), Volker Muthmann (Récitant). Photos : Patrice Nin