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Michèle Losier (Charlotte) et Phillip Addis (Werther)


Après l'Opéra de Seattle (1989), le Met (1999) et l'Opéra de Paris (2009), la compagnie montréalaise présente Werther dans la version pour baryton. Succédant à Dale Duesing, Thomas Hampson et Ludovic Tézier, Phillip Addis aborde pour la première fois le héros de Goethe revisité par Massenet, rôle qui confirme les affinités de l'artiste avec le répertoire français. C'est lui en effet que Gardiner avait choisi pour son Pelléas à l'Opéra-Comique en juin 2010 et qui avait chanté un très beau Zurga dans Les Pêcheurs de perles à Montréal en novembre 2008. Comme il possède une couleur de voix assez claire et de solides aigus qui en font à vrai dire un authentique baryton Martin, le chef Jean-Marie Zeitouni a modifié la ligne vocale afin de lui redonner certains des passages originellement destinés à la voix de ténor. S'il se montre assez prudent pour cette prise de rôle intimidante, le jeune chanteur jauge bien ses capacités et fait preuve d'une très grande probité vocale. La diction quasi impeccable, la sincérité du jeu, la générosité de l'interprétation en font un Werther très attachant. Manquent encore à ce stade-ci de sa carrière une plus grande aisance en scène qui pourrait mieux faire croire aux tourments du personnage, de même qu'un peu plus de puissance, que rend nécessaire l'acoustique ingrate de la salle Wilfrid-Pelletier.

À ses côtés, Michèle Losier est une Charlotte sensible, dotée d'un registre grave impressionnant, mais dont l'instrument souffre parfois d'un manque de contrôle, en particulier dans les passages aigus et forte où la voix se décolore et souffre d'un fort vibrato. Son air des lettres constitue sans doute son meilleur moment de la soirée. Le public parisien pourra l'entendre à l'Opéra-Comique en mars prochain dans le rôle du prince charmant de Cendrillon, autre ouvrage de Massenet. Avec sa petite voix légèrement acidulée mais d'une justesse irréprochable, Suzanne Rigden campe une Sophie à peine sortie de l'adolescence et en ce sens parfaitement en situation. Plus effacé, Stephen Hegedus n'imprime guère sa marque en Albert, malgré une bonne voix de baryton. Dans le rôle du bailli, Alain Coulombe se révèle autrement plus intéressant.

Après un prélude trop timoré, Jean-Marie Zeitouni et l'Orchestre symphonique de Montréal offrent une somptueuse lecture de la partition. Les pupitres des violons et des violoncelles, notamment, font merveille dans certaines des pages les plus envoûtantes de l'œuvre, comme le retour du bal au premier acte ou l'interlude La Nuit de Noël. Les décors de Michael Yeargan et la mise en scène d'Elijah Moshinsky, d'abord  conçus en 1990 pour Opera Australia, transposent l'action dans les années 1920, comme en font foi les costumes de Claudia et Sabrina Barilà dessinés pour les représentations montréalaises. Les deux premiers actes se déroulent dans une sorte de lieu déroutant dont on ne sait pas trop s'il est intérieur ou extérieur et où la nature se résume à un champ de blé à l'arrière-scène. Le décor chez Charlotte laisse voir une salle à manger aux teintes froides garnie de hautes bibliothèques murales. Avant que ce tableau ne pivote pour céder la place à l'appartement de Werther, le metteur en scène nous réserve sa principale surprise de la soirée : une réception de Noël qui meuble tout l'interlude symphonique. L'idée peut certes permettre d'expliquer pourquoi Charlotte arrive trop tard pour sauver Werther, mais il y a ici contradiction flagrante entre la page orchestrale passionnée et l'ambiance on ne peut plus compassée de la soirée. Cette fausse bonne idée est d'autant plus dommage que la mise en scène, réalisée par Christopher Dawes et Alain Gauthier, fourmille de détails généralement heureux qui donnent aux enfants et à l'ensemble des personnages une grande crédibilité. En somme, un Werther globalement satisfaisant sur le plan musical, mais dont la scénographie et la mise en scène ne réussisent à convaincre qu'à moitié. 

L.B.


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Michèle Losier (Charlotte) et Phillip Addis (Werther). Photos : Yves Renaud