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Photo Marc Vanappelghem.

Après la reprise inutile de la production d’Andrei Serban à Garnier, cette Italienne fait du bien. Le « baroqueux » Ottavio Dantone, d’abord, dirige d’une baguette légère, subtile, sémillante, qui laisse aussi bien la place au théâtre qu’au lyrisme. L’Orchestre de chambre de Lausanne sonne fort joliment, avec des saveurs fruitées - et de beaux solos concertants -, à l’unisson du chef pour dégraisser la partition sans succomber à une sécheresse prétendument philologique. Dès son entrée, Anna Bonitatibus fait penser à Teresa Berganza, par le timbre pulpeux, le charme coquin et jamais outré du jeu. On n’entend évidemment pas un contralto musico à la Marilyn Horne, mais une voix riche et homogène, très sûre dans les vocalises, veillant au modelé de la ligne. Une Isabella fougueuse et allumeuse, patriote au cœur tendre, pas virago poitrinante.       Déjà Lindoro à Garnier, rien moins que soupirant béat, Lawrence Brownlee, aussi souple de voix que de jeu, confirme ses qualités de ténor rossinien, par l’agilité de la colorature, la rondeur du timbre, l’aisance de l’aigu, la science du cantabile, le naturel de l’émission. On situera le Mustafà légèrement au-dessous : si Luciano di Pasquale offre un chant soigné, jamais débraillé, s’il canalise heureusement le côté buffa du personnage, il pourrait vocaliser avec plus de précision et donner plus d’éclat à son Bey. A Garnier, Riccardo Novaro s’était fait remarquer en Haly, ici donné à un impeccable Alexandre Diakoff : le voici en Taddeo, toujours aussi stylé, un rien sérieux cependant dans son attachement têtu à la belle et son refus du grotesque. Les chœurs sont, une fois de plus, remarquablement préparés par Véronique Carrot.

Souvent invité par le Châtelet, où il a connu des bonheurs divers, Emilio Sagi évite dans L’Italienne les excès d’usage, où était tombé Andrei Serban. Certes il ne se prive pas de réactiver les clichés : drapeau italien enveloppant Isabella pour l’air « Penso alla patria », spaghetti au menu de la cérémonie finale, mais aussi couleurs vives d’un kitsch oriental assumé – eunuques aux seins généreux, palais turquoise ressemblant à un Topkapi hollywoodien… comme est hollywoodienne l’arrivée d’Isabella en vamp des années 1950 ou 1960 qu’aurait habillée Dior. Mais on nous épargne le bey bouffon et sans manières : Mustafà n’est qu’un grand enfant, joue au train électrique, fantasme sur l’Arc de triomphe, adolescent attardé dont l’allumeuse ne fera qu’une bouchée. Et surtout, le metteur en scène reste sur le registre de la légèreté pétillante, de la facétie souriante, du décalage distancié, se gardant de toute vulgarité, jamais pesant dans ses clins d’œil, laissant la place au rêve : la folie délirante du giocoso rossinien semble s’emparer d’un conte oriental qui cristallise les fantasmes d’un Occident brûlant de forcer les portes des sultans. Une production bien adaptée à la Salle Métropole, un cinéma-théâtre inauguré en 1931, typique de l’époque, où sont donnés certains spectacles en attendant la réouverture de l’Opéra.

D.V.M.