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 James Morris et Matti Salminen.


Ou plutôt, le Hollandais-fantôme. Devant les défaillances de James Morris dans le rôle du Hollandais volant, on hésite entre compassion et colère. Compassion, parce qu’il s’agit bien sûr de souffrance esthétique et psychologique autant que physique – pour le public, pour ses partenaires et sans doute pour l’artiste lui-même – lorsqu’une voix désormais ombre d’elle-même s’expose, du début à la fin de la soirée, en intonations flottantes, longs phrasés au quart de ton inférieur, errances presqu’atonales, nuances détimbrées par un soutien enfui et tentatives d’aigus avortées. Colère, parce que face à une telle inadéquation de l’interprète aux exigences de son engagement, qui semble plus structurelle que circonstanciée et à laquelle une longue carrière passée ne peut remédier, Wagner aurait mérité qu’un autre chanteur puisse défendre son héros ténébreux et flamboyant.Autour de lui, un plateau vocal cohérent sinon exceptionnel sauvait la mise. Daland roublard de Matti Salminen, Erik clair mais élégant de Klaus Florian Vogt (un rien trop cadré dans son phrasé), Pilote excellent de Bernard Richter, Mary investie (parfois un peu en force, sa zone de passage ne cadrant pas complètement avec celle du rôle) de Marie-Ange Todorovitch : de quoi bien entourer la Senta d’Adrianne Pieczonka, solaire même si tendue dans ses aigus et ses élans. Quelques verdeurs cachées, un medium encore inégal face au rayonnement des aigus, mais une présence attachante qui, mieux dopée dans les duos avec son fantôme rêvé, aurait sans doute été plus à son aise. Que dire de la production de Willy Decker (qui date de 2000), sinon qu’elle ôte à l’œuvre tout mystère et toute aura (l’espace est nié, l’eau est oubliée, la nuit est contredite), et au spectateur tout plaisir dramaturgique. A part les fileuses astucieusement muées en femmes de marin à la tâche autour d’une voile à recoudre, on va d’ineptie en ineptie : on amarre les bateaux en plein salon et le Vaisseau fantôme est hors-champ, ce qui conduit les choristes à en interpeller l’équipage à coup d’appels vers la coulisse successifs et lassants (on note d’ailleurs certains de ces appels mis en scène à contresens). Pire : Senta se poignarde. Quid de sa mort rédemptrice qui, passant par l’eau, maintient symboliquement le corps intact et fusionne la jeune femme au marin maudit ? elle n’est ici qu’un cliché théâtral de geste désespéré. Ajoutez à cela la direction sans souffle de Peter Schneider, qui peine également à remettre en place des chœurs peu scrupuleux. Un Vaisseau proche du naufrage.

C.C.


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à gauche : Marie-Ange Todorovitch (Mary) et le Chœur des femmes.


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Adrianne Pieczonka. Photos : Opéra national de Paris / Frédérique Toulet