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Lipsynch. Photo E. Labbé.


Le Festival de Vienne, fondé comme celui d’Aix ou d’Avignon peu après la fin de la Deuxième guerre mondiale, est l’un des plus fameux d’Europe, et pourtant il n’est guère connu du public français. Eclaté en de multiples lieux et largement étendu dans sa durée (six semaines environ), il est ancré en ces mois printaniers (mai-juin) qui anticipent la pause estivale sans pour autant sceller la saison – période encore active où l’on aspire à toutes les découvertes. Les Wiener Festwochen accueillent des troupes et productions en provenance de toute l’Europe (avec un accent spécial cette année sur l’ex-Yougoslavie), mais aussi du Japon, d’Iran, d’Amérique du nord (Canada) et d’Amérique latine (Argentine, Brésil…). Soit près de cinquante productions et vingt pays représentés. Enfin, le festival de Vienne, qui ne se limite pas à l’opéra, s’ouvre à la plupart des disciplines spectaculaires de notre époque. Et c’est précisément ce qui le rend intéressant pour nous, qui n’avons rien de tel dans notre paysage culturel très cloisonné. Seul le Festival d’Automne pourrait lui être comparé, bien que l’esprit en soit assez différent. Car Vienne reste Vienne. La place de la musique et de l’art lyrique au sein d’un tel foisonnement de propositions artistiques fait de ce festival une merveille d’équilibre entre l’ambition exploratoire des formes contemporaines et l’exigence musicale classique, perçue en Autriche comme un patrimoine inaliénable. Les grandes tendances actuelles s’y voient représentées : mises en scènes éruptives, ou pour le moins joyeusement transgressives, des grands textes dramatiques (Les Trois Sœurs de Tchekhov revues par Frank Castorf ou Maison de Poupée d’Ibsen par Daniel Veronese) ; adaptations de romans (Les Démons de Dostoïevski par Peter Stein) ou de films (La Haine de Kassovitz par Volker Schmidt) ; danse africaine transfigurée (Faustin Linyekula) ; créations plus ou moins abouties, souvent platement narcissiques, de collectifs d’acteurs en provenance des pays baltes (le Jaunais Rīga Thēatris) ou du Brésil (Enrique Diaz) ; chorégraphies animalières à l’ambition universelle des belges Meg Stuart ou Alain Platel (certains se souviennent peut-être de Wolf programmé par Gérard Mortier à l’Opéra Bastille en 2005 ?); productions-fleuves croisant les langues et les cultures, comme le Factory 2 du Polonais Krystian Lupa d’après le studio d’Andy Warhol ou encore l’extraordinaire Lipsynch du Canadien Robert Lepage, où l’on passe allégrement, dans différentes couleurs d’accents nationaux, régionaux ou sociaux, du français à l’allemand, à l’espagnol, à l’anglais … Ce dernier spectacle joué par neuf acteurs (seulement) n’est pas une création de l’année (la première version date de 2007), mais il est incontestablement en phase avec l’esprit des Wiener Festwochen, par son caractère extraverti et polyglotte, par le choix qu’il fait d’interroger les tensions du monde contemporain à travers le filtre d’une réflexion sur la voix humaine.

LIPSYNCH

En effet, dans cette saga de la société mondiale, la quête des origines propre aux récits tragiques sous-tend une vaste dramaturgie de la voix, passionnante pour des amateurs d’art lyrique. Car si Lipsynch fait entendre des chants, ce spectacle dont le titre obscur évoque des lèvres (lips) et la concordance (synch) plonge au cœur du labyrinthe vocal. Voix parlée, voix chantée, voix imitée, voix masquée. Voix sans mots. Mots sans voix. Voix de l’identité. Voix du sang, du père, de la conscience. Mais aussi langues maternelles, langues natales, langues oubliées, langues apprises. Couleurs. Mots propres à conquérir. Et enfin voix multiples de la vie : voix transmises, conquises, perdues, enregistrées, reproduites, synthétisées. Ce spectacle d’une fluidité parfaite, aux dispositifs simples et technologiquement impeccables, tient en haleine pendant près de neuf heures à travers les neuf séquences d’une intrigue éclatée sur trois continents et trois générations, nouant et dénouant l’un après l’autre les fils – symboliques et physiques – de la vocalité contemporaine. De la chair vive du timbre originel à sa restitution la plus sophistiquée par les techniques modernes (enregistrements, radio, boîtes vocales, doublages, voix formatées…), il explore le fond sonore de nos identités instables, désormais mobiles, en constante recomposition dans un monde où les objets eux-mêmes se mettent à parler. Un bébé pleure dans l’avion sur le sein de sa mère, morte en plein vol. Une femme l’entend, découvre la scène, le prend dans ses bras – et quelques scènes plus tard, l’adopte. Elle est cantatrice. A partir de là, une histoire se construit, rocambolesque et réaliste, dont le déroulement fait apparaître peu à peu les vestiges engloutis de nos identités sonores. Le bébé (Jérémy) est devenu jeune homme (on assiste à sa métamorphose ultrarapide au cours d’une séquence se déroulant dans un train), celui-ci se détache de sa famille d’adoption, part à la recherche de sa mère génétique, fait éclore dans le sillage de son histoire quantité d’autres personnages obsédés par le sonore. : une chanteuse de jazz doit se faire opérer du cerveau, risquant par là de perdre ses mots – mais non sa voix ; une Canadienne cherche à lire sur les images muettes d’un film de famille les mots prononcés par son père et pour combler ce manque fait appel aux services d’une sourde, puis d’un acteur de doublage – lequel s’échine comiquement à restituer la voix disparue ; un présentateur de la BBC refoule par sa voix lisse, sans corps, une enfance violée ; un flic écossais se sentant ostracisé par son parler régional…. Enfin, les destins se forgent dans les harmoniques de la grande histoire : guerres mondiales et guerres civiles, fractures sociales, dominations économiques ou raciales. Voici Jeremy maintenant cinéaste. On tourne. Cinéma dans le théâtre – la voie est libre pour mener de nouvelles investigations sur les discordances multiples entre l’image et le son, la prise de vue et la prise de son, la réalité et la fiction. Tressant l’une à l’autre les voix et les vies rêvées de ses deux mères, Jeremy invente le passé et construit un mélo à base de musique, de désir et de résistance, et le situe dans l’Autriche nazie en proie aux flammes. Jusque là, rien que d’assez banal dans son film. Mais le réel bien vite reprend le dessus : une histoire se tisse entre lui et l’actrice principale, des jalousies éclatent, des coups fusent, et le tournage dérape dans un burlesque effréné quand l’actrice, aphone et totalement décomposée, doit refaire plusieurs fois la même prise dans la fragmentation imposée par le tournage. Pourtant, l’ensemble acquiert à cet instant une profondeur nouvelle et des accents proprement pirandelliens. Car c’est alors que l’identité de sa mère est révélée à Jeremy. Grâce à une cassette que lui transmet sa mère adoptive Ada (la cantatrice), il apprend ce qu’il ignorait encore : sa mère n’avait pas été telle qu’il l’avait fantasmée, jeune sud-américaine apprenant le chant à Vienne, mais une enfant de quinze ans arrachée à son Nicaragua natal et prostituée en Allemagne. Le grotesque débridé qui s’était amoncelé au fil des séquences, pour la plus grande joie des spectateurs, se fissure. Le corps des sons se fend, l’unité nue de la voix originelle fait place à sa dispersion brutale et mercantile. En final du spectacle, Ada interprète un extrait de la 3e Symphonie de Henryk Górecki (« Symphonie des pleurs » – 1976) en tenant dans ses bras le corps souillé de la jeune prostituée. Cette pieta des temps modernes est une image sans doute un peu trop appuyée pour un spectacle par ailleurs dénué de l’imagerie chrétienne. Mais la voix qui s’élève, fil d’Ariane dans le labyrinthe des corps, des langues et des voix, semble s’échapper des lèvres mêmes du temps.

Présenté en tout début de festival, Lipsynch vous arme pour la suite. Car à côté de ces spectacles qui pourraient figurer dans les programmations des théâtres de l’Odéon ou de la Colline, de Bobigny ou de Chaillot, le Festival de Vienne propose des spectacles qui donnent à réfléchir sur l’Autriche et son histoire – histoire musicale, histoire culturelle, histoire tout entière, dans sa violence encore brûlante. Cela va d’une programmation cinématographique autour de Max/Marcel Ophüls à une réécriture d’Hélène d’Euripide par Peter Handke, présentée au Burgtheater dans une mise en scène limpide de Luc Bondy (le directeur du Festival de Vienne, bien connu des Français pour ses mises en scène de théâtre et d’opéra – c’est lui qui a monté par exemple The Turn of the Screw à Aix-en-Provence ou encore Hercules de Haendel au Palais Garnier). Cette veine littéraire culmine dans la présentation de deux pièces d’Elfriede Jelinek, l’auteur autrichien le plus radical aujourd’hui, femme et prix Nobel de littérature. L’un des points forts du Festival a été ainsi l’invitation de la production munichoise de Rechnitz, la dernière pièce de Jelinek mise en scène par Jossi Wieler et portant sur un épisode de barbarie collective commis en Autriche 1945. Jelinek avait interdit qu’elle soit montée dans son propre pays. Le Festival permet ce genre d’exception. Autrement dit, si le navire des Festwochen conduit les spectateurs aux rives de l’art mondialisé d’aujourd’hui, il n’en affiche pas moins son identité propre. Il désigne les fractures de l’histoire, mais il tire parti des cohésions nationales. Parmi celles-ci, incontestablement, la musique. Ainsi ces six semaines de festival s’ouvrent traditionnellement sur la place du Rathaus par un concert en plein air (l’épreuve finale de l’Eurovision Young Musicians Competition), retransmis en direct sur des écrans géants et diffusé à la télévision. Une jeune artiste slovène a remporté le prix cette année avec le concerto pour flûte de Jacques Ibert. C’est dire que le mariage de la musique classique et de la fête populaire, avec stands à saucisses, bière et vin blanc fonctionne ici parfaitement. A quand les Victoires de la Musique classique, avec vin de pays, crêpes et merguez sur le parvis de l’Hôtel de Ville ?

WOZZECK et LULU

D’autres concerts, cette fois plus « pop », sont encore offerts au public de la capitale autrichienne. Mais c’est évidemment la richesse de la programmation classique qui nous retient ici. Cette année, la figure centrale du Festival était Alban Berg, dont on fête à la fois les 125 ans de la naissance et les 75 ans de la mort. Les deux opéras majeurs du répertoire lyrique moderne que sont Wozzeck et Lulu étaient donc présentés cette année, au Théâtre an der Wien. Ce théâtre est connu surtout pour son histoire : il fut ouvert en 1801 par le librettiste de La Flûte enchantée, Schikaneder, et c’est là que furent créés Fidelio, puis La Chauve-Souris et La Veuve Joyeuse. Tout récemment, il a pris pour appellation « Das neue Opernhaus » (« Le nouvel Opéra »). En effet, depuis la Deuxième guerre mondiale le Theater an der Wien peinait à retrouver une identité. Après une période de fermeture pour raison de sécurité, il était devenu un théâtre de comédies musicales quand, en 2006, à l’occasion du Deux Cent Cinquantième anniversaire de la mort de Mozart, il fut utilisé comme lieu de représentation pour quelques unes des nombreuses célébrations mozartiennes. Le théâtre fut ensuite confié à l’actuel intendant, Roland Geyer. En quelques saisons, celui-ci est parvenu à lui rendre une place qui justifie pleinement cette étiquette audacieuse, « Das neue Opernhaus ». Dans le contexte viennois où l’opéra demeure un art de tradition, où les productions restent à l’affiche parfois des décennies, la ligne artistique de Roland Geyer est simple et efficace : présenter des œuvres rares, issues d’un répertoire baroque ou moderne, accueillir ou produire des spectacles de qualité scénique. Dans des œuvres de Mozart, Haendel, Gluck, Haydn, Cherubini, Debussy, Janáček, Stravinsky ou Poulenc se sont déjà produits ici, pour ne citer que les chefs et les metteurs en scène, Fabio Luisi, René Jacobs, Christophe Rousset, Nikolaus Harnoncourt, Bertrand de Billy, Jean-Christophe Spinosi, Laurent Pelly, Robert Carsen, Christof Loy, Achim Freyer. C’est donc tout naturellement avec ce « Nouvel Opéra » et non pas avec le prestigieux Staatsoper moins aventurier, que les Wiener Festwochen sont associées pour la partie lyrique de leur programmation.

Parallèlement, le Mahler Chamber Orchestra, dirigé successivement par Daniel Harding dans Wozzeck et Daniele Gatti dans Lulu, interprète une quantité significative d’œuvres instrumentales dans le programme classique du Festival. En lui-même, ce jeune orchestre itinérant, fondé en 1997 par Claudio Abbado avec des musiciens venus de vingt pays différents, est une structure qui s’accorde bien à l’esprit du festival. Façonné par la pratique de chambre, aguerri aux répertoires classique et romantique, il résonne superbement dans Berg. Peut-être ne déchaîne-t-il pas toujours la folle conflagration des timbres avec la violence attendue dans ce répertoire – dans Wozzeck notamment l’élégance l’emporte un peu sur le grotesque, et un climat feutré s’installe qui nuit parfois à la pleine expansion de la forme. Mais la délicatesse savante de l’écriture de Berg s’entend distinctement, comme transparente dans l’acoustique claire de ce théâtre aux dimensions modestes. Ces deux opéras que l’on a coutume de voir dans de grandes salles, munis de décors puissants qui « sonnent » eux-mêmes très fortement, apparaissent ici dans une tout autre atmosphère, à la fois intime et nue, rugueuse, presque vide. Pour qui approche ces œuvres avec en mémoire les interprétations romantiques de naguère (la Lulu tourmentée de Patrice Chéreau, spectacle mythique qui accompagna la deuxième naissance de l’œuvre dans la version complétée de Friedrich Cerha, ou le Wozzeck quasi expressionniste de Ruth Berghaus), ou même les grandes productions actualisées d’aujourd’hui (comme le Wozzeck de Marthaler, dans son décor de fête manquée, ou la Lulu délurée d’Olivier Py), ces deux productions peuvent décevoir. Ni le Wozzeck de Stéphane Braunschweig ni la Lulu de Peter Stein n’imposent ici de « vision » nouvelle. Mais un charme diffus, « étrange et pénétrant», presque familier, émane de ces deux productions pourtant très différentes, que certains lecteurs de L’Avant-Scène Opéra auront peut-être déjà vues en France. Car ces deux spectacles chaleureusement applaudis à Vienne ont d’abord été créés à Lyon (Wozzeck en 2003, Lulu en 2010) avant d’être présentés à Aix-en-Provence pour le premier et à Milan pour le second. Dans les deux cas, l’évidence du propos dramaturgique n’est sans doute pas étrangère à ces conditions initiales de production, adaptées à des publics qui ne sont pas encore blasés de Berg.

Ainsi Braunschweig a focalisé l’attention sur les liens familiaux, sur ce qu’il appelle la « sainte famille » (le Père, la Mère, l’Enfant), et ce triangle fragile, bancal, présent dès l’ouverture, se brise lentement sous nos yeux. Dans un décor dépourvu de tout appareil superflu (une chaise, un jouet, un plateau fendu en son centre et de beaux éclairages rouges) et des costumes début de siècle (Berg commence la composition de l’œuvre pendant la guerre de 14-18, dans la détresse du front), Stéphane Braunschweig livre une version essentiellement psychologique de l’œuvre, intériorisée et dense, minimale mais sans faux-pas. Georg Nigl, enfant du pays (il a fait partie des fameux Sängerknaben de Vienne) a certainement l’étoffe de Wozzeck s’il n’en a pas encore la présence envoûtante. On le sent trop ajusté au rôle, et dès lors la contrainte sourde qui étreint le personnage de part en part ne se fait pas sentir avec la force suffisante. Face à lui, Angela Denoke a la part belle dans le rôle plus lyrique de Marie : santé de la voix, rayonnement de l’interprétation, éclat de la chair qui brûle dans toute l’étendue de sa tessiture. Citons encore Volker Vogel dans le Tambour Major, Eric Stoklossa dans Andres, et surtout Heinz Zednik dans le Fou, tous parfaitement en situation dans cette production homogène.

Plus colorée, assurément, est la Lulu de Peter Stein, qui ne se dérobe pas aux contraintes scénographiques de l’œuvre, où les espaces successifs ont pour charge de représenter l’ascension et la dégradation de Lulu et de ses satellites. Les décors et costumes situent l’action dans les années folles, l’histoire est rondement menée, les chanteurs sont tous excellents, Laura Aikin, l’une des grandes Lulu d’aujourd’hui, a l’abattage du rôle, elle est en voix ce soir-là, elle porte la coiffure de Louise Brooks dans le film de Pabst, la galerie des portraits masculins est parfaitement campée, et la Comtesse Geschwitz est magnifique. Tout est en place, donc, pour un spectacle réussi. Il n’y a rien à redire, et personne ne songe à bouder son plaisir. Pourtant, quelque chose reste au bord du chemin dans cette mise en scène agréable à regarder, aux lignes sobres, ordonnées, qui n’arrache pas le spectateur à lui-même et le laisse fort de ses certitudes devant Lulu. Grassouillette et pleine d’énergie, celle-ci ne révèle pas sa fêlure intérieure comme le faisait, par exemple, une Teresa Stratas. L’innocente perversion du personnage mythique a disparu au profit d’une volonté de vivre quasiment féministe. Ainsi, le duo que forme Lulu avec Schigolch (étonnant Franz Mazura, qui fut le Dr Schön rongé de l’intérieur imaginé par Chéreau) est tout en grâce affectueuse, en tendresse filiale. Certes, Laura Aikin campe une Lulu vocalement éblouissante et pleine de séductions. Mais le caractère opaque du personnage est effacé par cette santé trop solide. L’effroi suscité par sa force de dévastation se dissipe. On ne sent plus flotter sur cette société en crise le génie cruel de l’innocence, on ne voit plus la chute de l’âme jointe au désir irrépressible, on ne devine plus avec angoisse le consentement révolté de tous à la pulsion de mort. Et l’ambivalence profonde du tragique bergien se perd dans le vertige de la surface. S’il n’est pas véritablement montré, ce tragique est en revanche clairement raconté. Jamais ne se brise le fil tendu de ce drame intemporel. Il faut en effet saluer la clarté magistrale de la narration musicale et dramatique, qui rend accessible à tous une œuvre naguère réputée difficile. Berg, assurément, est désormais un classique. On fera une mention particulière pour Natascha Petrinsky (Comtesse Geschwitz, vibrante et proche), Stephen West (Dr Schön impressionnant) et Thomas Piffka (Alwa) dont la voix chaude, souple, aux aigus limpides et puissants, donne une image à la fois rayonnante et nostalgique de l’innocence dévastée de tout désir.

Sous l’étiquette « Ein Fest für Alban Berg » (« Une célébration pour Alban Berg »), un cycle de concerts de musique instrumentale et vocale accompagne cet hommage au dramaturge musical viennois : les solistes du Mahler Chamber Orchestra interprètent la Suite lyrique et le Concerto de chambre, mais aussi des œuvres de l’entourage de Berg, de Schönberg et d’autres compositeurs influencés par lui. Ces concerts ont lieu au Centre Arnold Schönberg. Enfin, le volumineux programme des Wiener Festwochen, qui s’ouvre sur les deux opéras de Berg, se clôt avec les concerts quotidiens donnés au Musikverein (notamment dans cette salle que le monde entier connaît par les concerts du Nouvel An). Ce cycle prestigieux commence le 9 mai avec l’orchestre philharmonique de Vienne dans un programme Schumann et Mahler dirigé par Daniele Gatti et se termine le dimanche 20 juin, d’abord avec le concert familial de 11h du matin où le même orchestre se produit dans un programme Mozart, Schubert, Tchaïkovski sous la baguette de Riccardo Muti, puis en fin d’après-midi dans un programme plus léger intitulé « Wien Wien, nur du allein » (« Vienne, Vienne, toi seule ») interprété par la Philharmonia Schrammeln et le ténor Germano-Canadien Michael Schade. Enfin, il faut signaler, en marge du Festival, la très riche exposition Mahler qui se tient au Palais Lobkowitz dans le Musée du Théâtre tout récemment restauré (à ne pas confondre avec le musée du Staatsoper, situé à quelques centaines de mètres de là). On peut y admirer, entre autres, des costumes de certaines productions lyriques dirigées par Mahler à Vienne, ainsi que les maquettes du légendaire Don Giovanni de 1905 dirigé par Mahler dans les décors d’Alfred Roller. L’air de rien, une telle exposition est un geste culturel hautement significatif. Rappelons qu’il n’y a pas de musée du théâtre en France. Et s’il y en avait un, proposerait-il une exposition sur un compositeur? C’est dire quelle harmonieuse combinaison de modernité et de tradition, de cohérence et de rupture préside à ces journées viennoises où se marient le présent et l’histoire, le théâtre et la musique. L’esprit festivalier se manifeste encore dans des ateliers offerts aux jeunes, des rencontres avec les artistes, un salon pour le public situé en plein cœur de la ville, et – petit détail qui ne trompe pas les visiteurs occasionnels – la gratuité des transports en commun associée au billet d’entrée dans les spectacles.

I.M.

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Wozzeck. Photo R. Walz.



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Lulu.  Photo A. Bardel.