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L'Amant jaloux.


Pour surprenant que cela paraisse, Hector Berlioz éprouvait une affection éclairée pour les ouvrages des anciens maîtres de l’opéra-comique : Grétry, Monsigny, Dalayrac. Il les avait connus et aimés avant de découvrir les opéras de Gluck ou de Spontini et les garda toujours très vivants en mémoire. Certains aspects rudimentaires de leur facture ne l’empêchaient pas d’admirer l’abondance et la pertinence des intentions dramatiques. Aussi s’éleva-t-il régulièrement contre les arrangements et les réorchestrations modernes qui leur faisaient perdre leur saveur en les banalisant. À quelques exceptions près, les révisions ont toujours cours, si rare que soit devenue l’apparition de ces ouvrages sur les scènes lyriques.

C’est dire l’intérêt des représentations de L’Amant jaloux de Grétry à l’Opéra royal de Versailles reprises à la salle Favart. Sauf le resserrement très acceptable des dialogues parlés, l’ouvrage a été donné, autant que faire se peut, tel qu’il l’avait été devant la cour en 1778. On n’est pas allé jusqu’à l’éclairage aux chandelles et à la prononciation restituée, mais les toiles peintes en trompe-l’œil, les costumes d’époque, un orchestre jouant sur instruments (ou copies d’) anciens avec un même souci du style que les chanteurs, confèrent à l’ensemble une unité de ton et une éloquence irrésistibles. La mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, vive, bien réglée, colle à l’action comme à la musique avec une intelligence constante. Jérémie Rhorer qui sait si bien, en compositeur qu’il est aussi, obtenir des membres du Cercle de l’Harmonie comme des chanteurs souplesse et précision, fait une fois de plus des miracles.Dans de telles conditions il devient possible de prendre la vraie mesure de cette comédie superbement menée et d’une musique étonnamment mobile, qui sans s’installer jamais, ne se disperse pas. Les couplets de Jacinte «Qu’une fille de quinze ans» sont une vraie ariette de soubrette malicieuse, comme sait l’être Maryline Fallot. L’exclamation «Plus de sœur, plus de frère» est d’un père autoritaire qui fait semblant de plaisanter, ce que Vincent Billier rend excellemment. Le Trio «Victime infortunée» est un clin d’œil à la tragédie lyrique et le final du premier acte, avec ses rebondissements, fait irrésistiblement penser à celui de l’acte 2 des Noces de Figaro. Le grand air de bravoure de Léonore, avec ses vocalises, est une concession à la créatrice, mais c’est un régal d’y entendre Magali Léger. L’ariette de Lopez «Le mariage est une envie» comporte une délicieuse citation cachée de La Folia. Le duo entre le père et le faux soupirant est entièrement bâti sur un quiproquo et chaque réplique fait mouche. On n’en finirait pas de citer, mais on se souviendra encore de la célèbre sérénade avec mandoline «Tandis que tout sommeille» si bien dite par Frédéric Antoun et de la tendre ariette d’Isabelle «Ô douce nuit», finement ombrée et soupirée par Daphné Touchais. Si Don Alonze, l’amant jaloux, n’a pas d’air et chante surtout dans les ensembles, c’est qu’il s’agit plutôt d’un rôle de comédien que de ténor. Brad Cooper n’en est pas moins les deux à la fois. Il est aussi inutile de chercher ce que le livret d’Hèle doit à Beaumarchais que de s’interroger sur l’influence éventuelle de la partition sur les opéras de Mozart. C’est d’une esthétique très différente qu’il s’agit : parti du modèle italien de La serva padrona de Pergolèse, dont la netteté radicale et la mécanique répétitive s’opposait aux dernières expressions du baroque flamboyant incarnées par Rameau, l’opéra-comique a vite retrouvé la préoccupation française, initiée par Lully, de modeler la partition sur la vérité de l’action et de la déclamation plutôt que de draper le drame dans un vêtement musical.

Le plus célèbre des opéras-comiques de Grétry, Zémire et Azor, représenté en contrepoint de L’Amant jaloux dans une production de la Fondation Royaumont, est une adaptation de La Belle et la Bête. Avec un ensemble réduit à dix musiciens excellents, mais bien trop pauvre en cordes pour donner à la partition l’étoffe dont elle a besoin, des décors symboliques, plutôt tristes, comme les costumes, le spectacle ne se situe pas dans la même sphère d’excellence. On doit savoir gré à la metteuse en scène, Alexandra Rübner, encore à ses débuts, d’avoir pris au sérieux le pathétique du conte — d’autant que Camille Poul (Zémire) y est si touchante ! — et d’avoir forcé le public parisien à s’abstenir de rire. Les vers du livrets ne sont jamais estropiés et l’on a peu coupé dans le texte. Mais fallait-il pour autant déclamer si lentement et avec une emphase constante ?On regrettera plus nettement, en revanche, les ajouts caricaturaux, imités du conte de Perrault, confiés aux deux méchantes sœurs et un dénouement modifié sans profit. Les excellentes prestations de Jean-François Novelli (Ali), comédien et ténor vif argent, d’Arnaud Marzorati, beau baryton dans le rôle de Sander, le père déchiré, et David Ghilardi (Azor), aussi émouvant quant il parle que quand il chante, doivent nuancer une déception à la hauteur des espérances que suscitait cette reprise d’un petit chef d’œuvre dont chaque air est une vraie trouvaille.

G.C.

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L'Amant jaloux. Photos Pierre Grobsois.


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Zémir et Azor. Photo Victor Tonelli.