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L’Opéra de Lyon a inauguré hier soir une remarquable Lulu, qui a su charmer comme frapper les spectateurs par l’élégance de sa scénographie, la justesse de son jeu et l’intensité de son interprétation. Magistralement restituée par les décors de Ferdinand Wögerbauer et les costumes de Moidele Bickel, la production de Peter Stein déploie une esthétique Bauhaus / Art déco raffinée, où le mobilier Le Corbusier, les loupes d’orme et galuchats, les chapeaux-cloches et kimonos façon Paul Poiret, accusent d’autant le contraste entre le luxe de l’ascension sociale de Lulu et sa décadence finale dans un taudis londonien. Oscillant entre la lumière mondaine d’un Lubitsch et l’obscurité menaçante d’un Pabst (belles lumières de Duane Schuler), l’univers visuel du spectacle offre à lui seul des clés de perception implicites de l’opéra, à commencer par la dimension (cinémato-)graphique de son héroïne. Portant le sautoir et la coupe garçonne avec crânerie, Laura Aikin stupéfie par son aisance dans la tessiture meurtrière du rôle et son exigence dramatique : suraigus attaqués ou phrasés, déclamés ou virevoltés, sans aucune raideur, versatilité de la couleur pour rendre les facettes complexes d’une femme-enfant, d’une séductrice-amoureuse, d’une indifférente-blessée, mobilité d’un minois mutin ou défait… Elle traverse la soirée sans fatigue vocale apparente – ce qui est en soi un exploit –, et s’offre aux saluts un triomphe bien mérité. Autour d’elle, le plateau est de haut niveau – avec, hier, soir de première, une tendance pour chacun à donner le maximum pour entrer de plain-pied dans cette œuvre vorace, et donc de petites tensions ou craquelures chez les hommes qui ne remettaient pas en cause la présence vocale et scénique phénoménale de tous. Schön douloureux de Stephen West, Alwa très lyrique de Thomas Piffka, Peintre soleilleux de Roman Sadnik, Schigolch parfaitement ambigu de Franz Mazura – entre tendresse et désir, donc aussi attendrissant que dégoûtant –, et dompteur-athlète veule et éclatant de Paul Gay – dont le parcours, décidément, s’ancre dans les meilleurs choix et les meilleures réalisations. Quant à la Geschwitz éperdue d’Hedwig Fassbender, elle offre à Lulu une gémellité troublante et crédible. L’orchestre de Kazushi Ono, de façon similaire, entre un peu en force dans l’opéra avant d’installer une houle plus mouvante. Le chef mène la fosse à une intensité qui sied au plateau vocal généreux, tous assumant une Lulu expressionniste et puissante.

C.C.