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L’Opéra national de Paris reprend cet automne la production de La Bohème signée Jonathan Miller qui avait marqué, en 1995, l’entrée de cette œuvre à l’Opéra Bastille. Elégante et sensible, elle éclaire la dimension proprement parisienne de l’œuvre sous un jour subtil : foin du Montmartre si souvent invoqué par les metteurs en scène, l’on est bien ici au Quartier latin, Momus a de vrais airs de Bouillon, et l’ensemble plonge au cœur d’un Paris pré-Front populaire bienvenu, où la misère des artistes côtoie celle des travailleurs du petit jour. C’est la tendresse et l’âpreté mêlées du réalisme poétique à la Marcel Carné, d’un cinéma des petites gens dont le quotidien se fait destin, que les décors de Dante Ferretti et les lumières de Guido Levi savent enrober ou isoler savamment. Et l’équipe musicale s’y fond souplement, donnant une vie sincère aux personnages et à leurs histoires croisées.

Si le Rodolfo de Stefano Secco souffre de faiblesses de timbre et de soutien dans ses aigus, malheureux, il n’en est pas moins émouvant, ombré toutefois par l’aisance parfaite de sa partenaire – une Tamar Iveri à la voix ronde et fruitée, à la présence frémissante. Les scènes « entre hommes » sont bien huilées, les quatre amis se renvoyant parfaitement la balle – mention spéciale au Marcello de Ludovic Tézier, délicieusement boudeur ou râleur, parfaitement en voix. Face à lui, le luxe d’une Natalie Dessay en Musetta joue à plein : si son bas-médium est au départ dépassé par l’orchestre puccinien, ce n’est que détail dans ce rôle dont l’esprit semble dessiné pour elle. Mutine et désarmante, elle donne sens à la moindre note de sa valse au-delà de la seule coquetterie, libère sa nature théâtrale jusqu’au rire sans jamais desservir l’histoire que Puccini nous raconte aussi – celle d’un autre couple, qui rit et pleure, se trouve et se retrouve sans cesse, au gré des « il faut bien vivre » de leur bohème à eux. Car c’est notamment grâce à Musetta et Marcello que l’œuvre se déploie tout à fait et devient chorale : c’est par eux que l’émotion finale irradie du petit lit de Mimì morte aux appels poignants de Rodolfo, eux qui sont comme nous spectateurs du drame et nous attirent ainsi à leurs côtés. Présent à tous et à chacun, Daniel Oren livre une leçon de chant orchestral, de timbres éclairés dans leur solitude, d’ampleur du geste et de l’élan. La Bohème est bien là – pour tout un mois encore, avec une distribution en alternance offrant aussi, notamment, la Mimì d’Inva Mula et le Rodolfo de Massimo Giordano.

C.C.


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Nathalie Dessay (Musette), Ludovic Tézier (Marcello), Stefano Secco (Rodolfo, Tamar Iveri (Mimi). © Opéra national de Paris/ Christian Leiber