Paris, Editions de La Martinière, 2014, 202 p., 15,90 €


Soixante-sept ans après le fameux Docteur Faustus de Thomas Mann, voici que Schoenberg inspire à nouveau un roman, mais d'une facture complètement différente. Loin de l'univers densément allégorique de l'auteur allemand, Vincent Jolit propose plutôt une biographie littéraire très légèrement romancée, où l'on suit selon un axe chronologique le parcours du compositeur, de sa Vienne natale à son exil américain, jusqu'aux dernières paroles qu'il aurait proférées sur son lit de mort et auxquelles le titre fait référence. Un peu à la façon de Vincent Borel dans son récent Richard W. (Editions Sabine Wespieser, 2013), Jolit ne cherche pas tant à faire œuvre d'imagination qu'à évoquer les étapes les plus significatives de la vie de l'artiste, dont il brosse par ailleurs un portrait assez poignant en figure christique de la musique moderne. Sans se priver parfois d'une certaine distance critique, voire ironique, le narrateur traduit néanmoins avec beaucoup de justesse l'amertume infinie de celui qui, en dépit de la fidélité de ses disciples Berg et Webern et d'une petite fraction du public, souffrit toujours de ne jamais jouir d'une popularité comparable à celle, par exemple, de Stravinsky. Pour illustrer la difficulté de Schoenberg à transmettre son message, le narrateur imagine un dialogue saisissant entre le compositeur et Moïse, « ce grand incompris à l'élocution brouillonne » (p. 114), véritable double du musicien ; la nature autobiographique du chef-d'œuvre inachevé Moïse et Aaron est ainsi mise en lumière de façon originale et frappante.

Peut-être afin de donner l'illusion de la fiction ou un caractère plus intimiste à « l'intrigue », les noms de Schoenberg, Berg ou Webern sont éliminés au profit des seuls Arnold, Alban et Anton ; très peu de dates viennent ponctuer un récit où est d'abord développée l'aventure spirituelle d'un créateur aux allures de prophète. Si les deux épouses et les enfants du compositeur, de même que les artistes Richard Gerstl (le peintre amant de Mathilde Schoenberg) et Kandinksy occupent à juste titre une place prépondérante, on s'étonne de la présence extrêmement discrète de Zemlinsky, qui fut pourtant l'ami, le professeur, le beau-frère et le créateur d'Erwartung. Écrit dans un style alerte et enlevé, le récit souffre toutefois d'un relâchement occasionnel, d'une familiarité qui s'apparente trop à la langue parlée. Plus gênant encore est le passage au « vous » - le seul du roman -, lorsque le narrateur s'adresse directement à Schoenberg pour tenter de lui expliquer les raisons de sa haine envers Stravinsky. Si ces quelques éléments irritants nuisent un peu au plaisir de la lecture, Harmonie, harmonie confirme le talent et les progrès de Vincent Jolit qui, après son premier roman Clichy (consacré à la secrétaire ayant transcrit le manuscrit de Voyage au bout de la nuit), a rédigé une œuvre de plus grande envergure qui approfondit sa réflexion sur le processus créateur.

L.B.