Arles, Actes Sud, 2014, 349 p., 23€.

En France davantage encore qu'en Belgique, Philippe Boesmans doit sa notoriété à ses succès récurrents dans le domaine de l'opéra. On ne sera donc aucunement surpris de ce que le choix de Cécile Auzolle se soit porté sur l'œuvre opératique du compositeur pour retracer une évolution stylistique dont aucun autre genre ne peut chez lui mieux témoigner. La présente monographie, qui appartient - avec un recueil d'entretiens et témoignages publié chez Maradaga - à la première génération des ouvrages francophones consacrés au compositeur, possède entre autres atouts celui de documenter abondamment la genèse des œuvres scéniques. L'artifice quelque peu attendu mais indéniablement efficace d'un chapitrage en forme d'opéra (avec prologue, quatre actes et postlude), permet non seulement d'assouplir les frontières du traditionnel diptyque « l'homme et l'œuvre », mais aussi d'introduire des micro-essais thématiques comme le statut contemporain du genre opéra, la vocalité ou l'orchestre de Boesmans.

Fondée en grande partie sur une série d'entretiens avec le compositeur et avec ses proches collaborateurs, complétée par un assez large recours à des articles de presse, la matière première de ce livre est abondante, en partie inédite et rassemble une grande quantité de propos particulièrement éclairants, qui permettent d'appréhender les enjeux principaux des opéras ou nous renseignent sur la façon de travailler de Boesmans. Les données biographiques sont aussi souvent que possible reliées aux œuvres : l'enfant à la santé précaire, à la scolarité aussi peu convaincue que convaincante, les cours privés de piano puis d'orgue, l'attrait pour le dessin et la peinture, tôt supplanté par celui pour la musique, le sens précoce de la mise en scène appliqué par l'adolescent à lui-même, la passion immodérée pour Wagner, la découverte passionnée du théâtre dans les années soixante, rares sont parmi ces faits ceux dont la musique ne conserve aucun souvenir.

Les partenaires de Boesmans (Luc Bondy, Gerard Mortier, Bernard Foccroulle ou Sylvain Cambreling) ne sont pas oubliés, mais ce sont avant tout les œuvres qui dessinent la ligne de crête sur laquelle ouvre ce panorama. Troisième opéra où se cristallise un langage de plus en plus concentré et personnel, porté par un sens dramaturgique de plus en plus affûté, Reigen est le premier chef-d'œuvre, qui assurera au compositeur une large reconnaissance. Laissant la critique moins unanimement favorable, Wintermärchen témoigne d'une écriture volontiers polystylistique, tandis que Julie condense en un opéra de chambre la puissance expressive de Boesmans. Après Yvonne, Princesse de Bourgogne, même le récent Au monde, qui n'avait pas encore été créé à la parution de ce livre fait l'objet d'une étude. La substance musicale qui fonde l'ensemble de ces œuvres est volontiers décrite, mais l'analyse n'est pas le propos de Cécile Auzolle. Il faut dire que le compositeur lui-même n'encourage pas l'entreprise et ironise sur les musicologues qui s'y risquent, et qui devront à tout jamais se passer des esquisses, que Boesmans ne conserve pas. S'il se dit, non sans malice, peu disposé à se laisser « impressionner par [sa] supposée science », il privilégie l'idée d'une musique qui « naît d'elle-même ». Mue par une manifeste empathie qui fait d'ailleurs la force de son approche, l'auteure fait siennes les catégories implicites de l'intuition et de l'inspiration. Si l'artisanat du compositeur, fruit d'un exceptionnel métier, reste à aborder sous un jour plus systématique, son art est remarquablement cerné par un ouvrage auquel il sera difficile désormais de ne pas se référer.

P.R.