Rennes, PUR, 2017, 493 p.

Dans leur collection « Le Spectaculaire » (où figure notamment le remarquable Eugène Scribe dirigé par Olivier Bara et Jean-Claude Yon), les Presses Universitaires de Rennes publient un nouveau volume venant enrichir la bibliographie déjà riche consacrée au « couple » fertile opéra/cinéma.

Au gré des études, les unes très ciblées dans leur angle d'attaque, les autres plus transversales - toutes fort pointues et conçues selon la norme universitaire, donc aussi précises que denses à la lecture -, la dialectique de ces deux domaines d'expression artistique et de leurs interactions est envisagée de façon équilibrée, en cinq parties.

La première remonte aux premiers temps de leur rencontre. Patrick Le Goff évoque ainsi les films de Dickson pour les studios Edison qui, en 1894, prennent déjà pour objet d'expérimentation un extrait des Cloches de Corneville - sans parler des films de Le Prince, tournés en 1888 et eux aussi curieux de musique. Parmi les autres études de cette partie, la façon dont les trucages scéniques propres au mélodrame théâtral vont influencer le cinéma (Marie-Anne Le Roy Marsálek), le travail de programmation musicale du chef d'orchestre Paul Fosse (Jérôme Fronty), destiné à accompagner les projections du Gaumont Palace, et l'évocation du Phantom of the Opera de Rupert Julian (Laurent Marty) font revivre avec acuité un temps certes éloigné mais ô combien novateur.

La deuxième partie s'attache à l'influence exercée par le cinéma sur l'opéra. Sur sa musique - voir notamment Eötvös, compositeur de musique de films (Marie Laviéville-Angelier) -, sur ses mises en scène - d'Eisenstein s'attaquant à La Walkyrie (Olivero Massimo) à la vaste famille des « cinéastes metteurs en scène » (Aude Ameille). On pourra s'étonner d'y trouver parmi les noms phares avancés celui de Patrice Chéreau, homme de théâtre avant que réalisateur. On pinaillera aussi (mais d'un clin d'œil complice) le référencement aléatoire du fameux n° 98 de L'Avant-Scène Opéra qui fut aussi le n° 360 de L'Avant-Scène Cinéma, volume commun aux deux revues, titré Opéra et Cinéma et cas unique de réalisation partagée par les deux rédactions : en p. 120, il se voit amputé de ses deux « parents » au profit d'un rédacteur en chef unique (et lyrique) ; en p. 146, il se voit renommé en Avant-Scène Opéra Cinéma - revue qui, en tant que telle, n'exista jamais... L'opéra tendrait-il à phagocyter son cadet ?

Suite logique, la troisième partie étudie l'art de filmer, capter, montrer l'opéra. Des débuts du genre à la télévision (Marie Auburtin), avec de délicieuses anecdotes sur les premiers bugs dus au direct, à une histoire du documentaire lyrique (Elizabeth Giuliani) en passant par une étude du travail de Philippe Béziat sur Pelléas et Mélisande (François-Gildas Tual), elle se complète de divers entretiens avec des réalisateurs essaimés dans le volume (renvoyons notamment le lecteur aux souvenirs de tournage de Benoît Jacquot narrant sa Tosca...).

Renversement de la proposition II, la quatrième partie prend pour objet l'opératique au cinéma : l'un des articles les plus passionnants est celui de Thierry Santurenne sur la notion de diva (la chanteuse, l'actrice mais aussi le personnage de fiction), scrutée y compris du point de vue inattendu de l'idéologie sociale et politique. On attendait évidemment Timothée Picard sur la question de l'opératique, lui dont l'ouvrage sur La Civilisation de l'opéra fait d'ores et déjà date ; sa cartographie de la notion via les adaptations du Fantôme de l'Opéra est un jalon essentiel de l'ouvrage. L'étude de Laurent Guido, qui rapproche de façon très pertinente le dispositif bayreuthien de l'expérience de la « salle obscure », est elle aussi passionnante. A l'inverse, l'évocation de certains cas particuliers - Argento (Pierre Jailloux), Match Point (Justin Bernard) - laisse ouverte une interrogation non traitée ici : quid de l'italianité des réalisateurs dans leur rapport à l'opéra ou, plus largement, à la musique (on songe à Coppola, Leone, Scorsese...) ?

Une dernière partie avoue dans son titre (« Interactions multiples et multiformes ») son aspect plus disparate. Les textes s'y juxtaposent plutôt qu'ils ne forment ensemble - seul bémol avec le cahier iconographique central dont le légendage évasif rend la compréhension plutôt secrète. Par le nombre et la richesse de ses points de vue, l'ouvrage réussit néanmoins le pari d'un tour d'horizon de son vaste sujet doublé d'une pluralité de réflexions érudites. Un incontournable pour les passionnés de la question.

C.C.