Études de lettres, revue de la Faculté des lettres de l'Université de Lausanne, 2016, no 4, 170 p., 22 CHF.

Ce volume nous arrive de Suisse, plus précisément de Lausanne où l'Opéra et la Faculté des lettres ont entamé en 2010 une fructueuse collaboration pour démocratiser le genre lyrique. En plus d'offrir aux étudiants la possibilité d'assister aux répétitions générales pour un prix modique, l'Opéra fait appel à l'Université de Lausanne afin de proposer des conférences sur les différents ouvrages qu'elle met à l'affiche. Loin de se limiter au seul corps professoral de Lausanne, le cycle de conférences a fait entendre au fil des saisons des chercheurs suisses, français et italiens dont les différentes approches (littéraire, historique, philosophique, psychologique...) reflètent les disciplines enseignées à la Faculté des lettres. Les sept textes retenus font la part belle au répertoire français et couvrent un peu plus de 150 ans, soit de 1782 (Il barbiere di Siviglia de Giovanni Paisiello) à 1937 (L'Aiglon d'Arthur Honegger et Jacques Ibert).

Les deux premiers articles abordent des ouvrages italiens, mais via leurs origines françaises : Pierre Michot offre une excellente synthèse sur Beaumarchais et ses musiciens (Paisiello, Rossini et Mozart), tandis que Luca Zoppelli se penche sur « la vraie nature du tragique » de Norma, dont le livret s'inspire d'une tragédie d'Alexandre Soumet créée à peine dix mois avant l'opéra de Bellini. Pour sa part, Delphine Vincent s'intéresse au comique dans Les Mousquetaires au couvent (1880), opérette de Louis Viarney que l'Opéra de Lausanne a montée en décembre 2013. Lakmé et Manon donnent lieu à des études de Philippe Bornet et de Vincent Giroud, la première portant sur l'orientalisme dans l'ouvrage de Delibes et la seconde axée sur la transposition du roman de l'abbé Prévost et les références musicales au XVIIIe siècle dans le chef-d'œuvre de Massenet. C'est l'approche psychanalytique que privilégie quant à elle Laurence Lacour dans son texte sur L'Enfant et les Sortilèges de Ravel, où elle voit une allégorie de « la lutte aboutissant au processus créateur que tout artiste vit à l'intérieur de lui. » Enfin, Jacques Tchamkerten, après avoir évoqué les rapports entre Rostand et les musiciens, relate la genèse et les principales caractéristiques de l'adaptation que Honegger et Ibert ont réalisée de L'Aiglon.

Outre onze planches de photos consacrées aux productions de l'Opéra de Lausanne évoquées dans les articles, le volume comprend un important entretien de Christophe Imperiali avec l'auteur Étienne Barilier (« De la musique, la littérature est le plus grand témoin »). Comment rêver d'un complément plus heureux au recueil ? Car non seulement la musique est-elle inscrite au cœur de l'œuvre de l'écrivain, mais elle lui inspire des pensées d'une grande profondeur de vues, que l'on se plaira à relire et à méditer. Ses réflexions sur la fraternité entre l'art et la liberté, sur les rapports entre la musique et les lettres (« Deux arts du temps, deux arts qui nous font aimer, comprendre et peut-être, avec Proust, surmonter le temps »), sur les compositeurs romantiques (qui « ont uni les richesses de l'esprit à la simplicité du cœur ») et sur le péril qui menace la littérature à l'ère numérique composent autant de jalons d'une pensée qui unit à la perfection intelligence et sensibilité. Pour toutes ces raisons, on ne saurait trop recommander la lecture de ce numéro de la revue Études de Lettres.

L.B.