Paris, Bleu nuit éditeur, coll. Horizons, 174 p.

Contemplant la façade du Palais Garnier, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi le buste doré de Spontini (1774-1851) y trône entre ceux de Mozart et de Meyerbeer ? A l'écoute des sublimes « O nume tutelar » de Ponselle ou de Callas, Vestales italianisées, vous arrive-t-il de songer à la parenté du cantabile spontinien avec celui de la bellinienne « Casta diva » ? Natif du village de Maiolati (Marches) qui porte à jamais son nom, le génial Gaspare est, quoi qu'il en soit, étrangement délaissé, relégué dans un coin de notre mémoire, rarissime sur les affiches de nos théâtres. A ce fils légitime de Gluck et de la tragédie lyrique française, rejeton autoproclamé de Cimarosa mais précurseur du grand-opéra meyerbeerien, admiré de Berlioz, inspirateur de Verdi autant que de Wagner, l'excellent Patrick Barbier consacre un livre longtemps attendu. Au delà de l'image un rien stéréotypée du « compositeur préféré de Napoléon », l'auteur déroule, avec un constant bonheur d'expression et une piquante finesse d'analyse, la vie et les quelque trente années de carrière d'un musicien protéiforme doublé d'un homme qui, à coup sûr, méritait mieux que ce qu'il laissait transparaître de son caractère tortueux.

L'élève indocile du Conservatoire de Naples, mariant, dès sa première floraison d'ouvrages, farsa buffa et opera seria, cède comme beaucoup à l'attrait de la France impériale dès l'année 1803. Ce fils de savetier ne dédaigne point les financiers qu'il approche dès son arrivée à Marseille et qui lui permettront de côtoyer dans la capitale les Récamier, de Staël, Chateaubriand ou Erard. Un coup de maître - la création au Théâtre des Italiens de son opéra semiseria Milton - fait de lui bientôt un « Directeur de la Musique de l'Impératrice et Reine ». Avec le librettiste de cet ouvrage, Etienne de Jouy, l'heureux protégé du régime va derechef concevoir ce qui demeure son opéra fétiche, cette Vestale que fait triompher en 1807 la légendaire Caroline Branchu. Alors qu'au lendemain du sacre de Napoléon l'époque se pare de références au néo-classicisme et à l'Antique, la partition regarde vers Cherubini et sa Médée tout en se colorant des effluves préromantiques, en une savante alchimie plus tard louée par Berlioz et dont saura s'inspirer Norma. Mais ce que nous pourrions qualifier de consécration s'accomplira deux ans plus tard avec Fernand Cortez. En pleine guerre « de libération » de l'Espagne contre son roi, l'Empereur suggère à notre musicien le sujet de cet opéra à la gloire du conquistador, manière d'alter ego magnifié dans ce qui va s'avérer comme le premier grand-opéra de l'Histoire, en amont de La Muette de Portici d'Auber et, plus largement, de tout le répertoire français ou italien du XIXe siècle. Consacré comme emblème du grand style impérial, le musicien se verra offrir un temps la direction de la scène des Italiens installée à l'Odéon, où se produiront jusqu'au déclin du régime les ténors Crivelli et Tacchinardi aux côtés de Barilli - basse distribuée en Don Giovanni dans l'opéra mozartien que le public boudera, le jugeant trop intellectuel ! La frivolité de la Restauration suggère à l'opportuniste Spontini un ultime chef-d'œuvre, Olympie (1819), illustrant de façon académique mais stylée le mariage expiatoire d'Antigone le Borgne, de Macédoine, avec Cassandre. Du départ vers la Prusse en l'an 1820, de la création d'une Agnes von Hohenstaufen médiévale à Berlin sept ans plus tard - œuvre visionnaire ensuite remaniée - jusqu'aux dernières années marquées par les rencontres avec le compositeur de la Symphonie fantastique à Paris en 1830 et le flatteur Wagner à Dresde en 1844, l'auteur nous détaille ensuite les péripéties. Ce jusqu'à la surdité puis la mort du héros national le 24 janvier 1851. Le livre se lit d'une traite en dépit du sérieux des analyses dont il est émaillé, chronologie, catalogue des compositions, discographie sélective et illustrations achevant d'en faire un véritable vademecum !

J.C.