Arles, Actes Sud / Association Monteverdi Vivaldi, 2015, 199 p., 35 €

 

Fondateur en 2010 du Venetian Center for Baroque Music - dont il est depuis lors directeur artistique - après avoir dirigé le Palazetto Bru Zane, Olivier Lexa est une plume incontournable pour qui veut approfondir - ou tout simplement découvrir sous la lumière la plus éclairante - la vie musicale de la Sérénissime depuis le Seicento. A ses deux précédents ouvrages, l'essai « touristico-historique » Venise, l'éveil du baroque. Itinéraire musical de Monteverdi à Vivaldi (Karéline) et la biographie Francesco Cavalli (Actes Sud), s'ajoute désormais ce livre d'art qui prend d'emblée le statut de référence.

Page après page, l'œil autant que l'esprit sont ravis par une iconographie somptueuse et élégamment mise en page, allant de tableaux ou fresques de palazzi en drolatiques caricatures de castrats emplumés. Venise, en soi stupéfiant décor pour la musique - via ses théâtres lyriques et églises, ses ospedali et scuole, ses places, ruelles et canaux -, a aussi la musique pour décor permanent, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses murs foisonnants de représentations allégoriques, spectaculaires ou intimistes.

Pourquoi Venise ? pourquoi réalisa-t-elle seule cette unique fusion esthétique de la forme et du fond, musiquant son architecture tout en figurant sa vie musicale ? Le texte d'Olivier Lexa répond à cette question de façon brillante et érudite - non pas une érudition aride et austère, mais une science qui aiguise la curiosité, trace des ponts entre les idées et les époques, stimule plus qu'elle n'intimide, même si la finesse et la richesse du propos sont roboratives. L'opéra vénitien, qui s'invente public et payant, constitue un tournant historique et sociologique du genre, tout comme il forme le cœur de l'ouvrage - avec les beaux chapitres consacrés aux compositeurs Strozzi et Cavalli, Monteverdi, Marcello et Vivaldi, ainsi qu'aux librettistes Faustini ou Zeno. Mais Venise, c'est aussi la musique instrumentale des ospedali, la musique sacrée de la basilique Saint-Marc ou des Frari, aussi bien que les innombrables confréries artistiques qui la parsèment et y font résonner un microcosme où la géopolitique a sa part. Entre Rome et Constantinople, république au milieu des empires, la Sérénissime s'étend sur la lagune comme un défi au Ciel et aux hommes - un défi que tout son œuvre visuel et sonore tend à perpétuer. C'est toute la réussite de cet ouvrage de nous en faire non seulement comprendre, mais aussi - et surtout - sentir, la fantasque (dé)mesure.

C.C.