Nikolaï Ges (Semyon Kotko), Tamara Antipova (Frosia), Tamara Yanko (la Mère de Semyon), Nikolai Pantchekhine (Tkatchenko), Antonina Klecheva (Khivria), Lioudmila Guélovani (Sofia), Mikhaïl Kiselev (Tsariov), Tatiana Tougarinova (Liouba), Chœurs et Orchestre Symphonique de la Radio d'URSS, dir. Mikhail Jukov (1960).
CD Melodia MELCD 1002120. Distr. Abeille Musique.

« Un opéra soviétique, héroïque et constructif » : voilà, de l'aveu même de Prokofiev rentré au pays durant l'hiver 1935, l'objet de Semyon Kotko. On a voué depuis cet ouvrage aux gémonies. Il faut dire que la cécité volontaire de Prokofiev devant la chape de plomb qui s'était abattue sur la vie artistique - et sur la vie tout court - depuis la terrible année 1938 rend incrédule devant son ardeur à se plier aux dictats du régime. Semyon Kotko sera donc le manifeste d'une double volonté, celle de complaire à Staline et celle de devenir le premier compositeur soviétique même au détriment de Chostakovitch, de toute façon mis à l'index depuis le scandale de Lady Macbeth de Mtsenk.

Si les circonstances ont desservi Semyon Kotko, que vaut-il vraiment ? Prokofiev n'y retrouve pas la verve de ses brillantes partitions lyriques des années vingt, et le public du Théâtre Stanislavsky dut être surpris par le style souvent minimaliste qu'il y emploie, lui qui ne connaissait de Prokofiev que L'Amour des trois oranges et son théâtre débridé. Pourtant les dialogues resserrés et fusant, l'orchestre illustratif, plein de traits brefs, l'écriture globale inféodée au théâtre, le tout agrémenté d'un recours à un folklore ukrainien qui met une touche de pittoresque certain, portent indiscutablement la signature du compositeur - qui néanmoins tire à la ligne dès que la politique prend le premier plan, comme durant la scène où Semyon et les villageois discutent de Lénine et de Kérenski.

Si Valery Gergiev signa en 1999 un enregistrement moderne, écho sonore d'un spectacle qui transposait l'action d'une guerre à la suivante, on retrouve la version princeps avec plaisir. D'abord parce qu'elle capture encore, vingt ans après la création, l'esprit du temps - outre qu'on peut y entendre le créateur de Tkatchenko, Nikolaï Pantchekhine, et qu'elle affiche un cast autrement percutant que celui du Mariinsky, à commencer par le Semyon plein de caractère de Nikolaï Ges, ténor héroïque aux moyens impressionnants. La direction objective, froide, volontiers ironique de Jukov remet en perspective un opéra que l'histoire a fait passer de la propagande au témoignage.

J.-C.H.