Alexandre Vedernikov (le Prince Yuri), Vladimir Ivanovski (le Prince Vsevolod), Natalia Rojdestvenskaïa (Fevronia), Dmitri Tarkhov (Grichka Koutierma), Ilya Bogdanov (Feodor Poïarok). Chœur et Orch. de la Radio d'URSS, dir. Samuil Samossoud (live 19.I.1955).
CD Aquarius AQVR 374-2. Synopsis lu en russe. Texte de présentation russe et anglais. Pas de livret. Distr. Aquarius Classic.

Cet enregistrement de Kitège (La légende de la ville invisible de Kitège et de la vierge Fevronia) s'inscrit dans une série effectuée au cours de la décennie d'après-guerre, qui offrait une sorte de digest d'opéras peu connus parce que retirés depuis longtemps du répertoire (dont Rogneda et La Puissance du mal de Serov, Gromoboï de Verstovski, Esmeralda de Dargomyjski), avec parfois des résumés du synopsis lus par un(e) récitant(e).

Ainsi qu'il est précisé dans le texte de présentation, ce Kitège-là faisait figure de répétition générale partielle avant le premier enregistrement intégral - et, disons-le tout de suite, resté inégalé depuis - réalisé l'année suivante (1956) par Vassili Nebolssine. Une répétition générale sur laquelle il y aurait beaucoup à redire, non pas tant pour la présentation d'une version tronquée (les deux premiers actes comportent des coupures, les deux derniers sont réduits à la portion congrue de quelques scènes), mais surtout pour le trafiquage éhonté du livret (procédé courant à l'époque soviétique) qui prend soin de débarrasser au maximum le texte de toute connotation religieuse ; un exercice particulièrement difficile et impertinent lorsqu'il s'agit du magnifique credo spiritualiste qu'est cet opéra du pourtant agnostique Rimski-Korsakov, totalement détourné ainsi de son sens ! Mais de cela ne peuvent s'apercevoir que ceux qui connaissent de mémoire le livret d'origine, lequel sera heureusement rétabli dans la version de Nebolssine.

Parlons donc des interprètes, dans une assez large mesure les mêmes que l'on retrouvera dans cette dernière. Natalia Rojdestvenskaïa est LA Fevronia, absolument splendide, avec sa voix qui allie la technique classique et le timbre naturel de la femme du peuple. Vladimir Ivanovski se sort plutôt avec vaillance du rôle un peu ingrat du jeune Prince Vsevolod. Assurément le rôle dominant de ténor dans Kitège est dévolu au misérable paria Grichka Koutierma, l'ivrogne et traître, pour lequel la voix si caractéristique de Dmitri Tarkhov fait merveille dans l'art de se teinter de bile et d'être disgracieuse à bon escient. Un très beau second rôle, celui de l'écuyer Feodor Poïarok, est magistralement tenu par le solide baryton d'Ilya Bogdanov. En revanche, Alexandre Vedernikov en Prince Yuri n'a absolument pas la classe ni la majesté d'Ivan Petrov qui le remplacera très avantageusement chez Nebolssine.

Sous la direction déliée et dynamique de Samossoud, les chœurs et l'orchestre sont riches de nuances, avec tout au plus quelques décalages sans gravité, quasiment inévitables dans un live. L'auditeur pourra sans regret sauter les plages du présentateur, qui lit son texte avec une emphase insupportable même pour les non-russophones, et une fois mis au courant des finalités « didactiques » et idéologiques de cette version, il prendra ce double CD pour ce qu'il est : un document d'époque, un live qui s'écoute à un bon niveau de plaisir musical - et donne surtout envie de découvrir l'intégrale authentique.

A.L.