Michael Spyres (Hoffmann), Kathleen Kim (Olympia), Natalie Dessay (Antonia), Tatiana Pavlovskaya (Giulietta), Susana Cordon (Stella), Michèle Losier (Nicklausse, la Muse), Salomé Haller (la Voix de la mère), Laurent Naouri (Lindorf, Coppélius, Dr. Miracle, Dapertutto), Francisco Vas (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Manuel Esteve Madrid (Spalanzani), Isaac Galan (Schlemil, Hermann), Alex Sanmarti (Luther), Carlos Chausson (Crespel), Airam Hernandez (Nathanaël), Chœurs et Orchestre du Gran Teatre del Liceu, dir. Stéphane Denève, mise en scène : Laurent Pelly (Barcelone, 2013).
DVD Erato 4636914 0. Distr. Warner Music.

Fallait-il enregistrer ces Contes ? La production, créée voici 11 ans à Lausanne, fut marquante et le reste, même refaite à plus grande échelle pour d'autres théâtres, comme Lyon. Le regard sans concession de Pelly, qui ne flatte personne et refuse la conception opéra-comique au profit d'une vision plus sombre (en fait, plutôt grise, comme la majorité des décors de Chantal Thomas) du personnage d'Hoffmann, de ses dérives éthyliques et amoureuses, et des autres personnages vus au filtre de son imagination/délire, fait partie des productions importantes de l'œuvre, même s'il lui manque la poésie à la fois innocente et inspirée de celle de Chéreau, la noirceur absolue de celle de Py, la variété/virtuosité scénique d'un Carsen, qui aide à tenir l'œuvre sur la durée. Car ici, ils font bien long, ces Contes qui s'étirent sans passionner.

De fait, la captation de cette reprise à Barcelone, l'an dernier, est surtout banale. Techniquement trop souvent floue, elle ne rend ni l'ambiance, ni les tensions de la production originale, et semble se diluer ici sans soutien ni force irrésistible. Est-ce dû à la direction élégante mais pas vraiment dramatique de Stéphane Denève ? À un orchestre qui reste peu engagé ? À des chœurs bien animés sur scène, mais pas toujours parfaits - cohérence et accord avec le chef ? Ne serait-ce pas surtout dû à une distribution qui est loin de remplir les exigences des options dramatiques et musicales requises ?

Michael Spyres est certes un excellent Hoffmann, dont il domine la tessiture sans crainte, et joue parfaitement ce qu'on lui fait faire, mais il n'arrive pas à fasciner, à créer un personnage vrai. Laurent Naouri a, lui, une présence physique autrement prégnante et bien noire, même si on le fait, sous le prétexte de l'unité des quatre vilains, jouer toujours de la même façon. Mais le timbre asséché, le grave un peu raccourci ne l'aident guère à dominer les personnages d'une évidence vocale sidérante. Trop probe, tout cela. Côté dames, c'est bien moins convaincant encore. Natalie Dessay, qui devait initialement interpréter les quatre héroïnes mais n'a finalement assumé qu'Antonia, est tout simplement dévastée dès qu'il s'agit de chanter, même si sa sensibilité à fleur de peau impose encore un personnage crédible. Si Kathleen Kim est une fort convaincante Olympia, sans y être éblouissante, Tatiana Pavlovskaya n'a ni la voix, ni le style, ni le français adéquats pour Giulietta. Quant à Michèle Losier, sa Muse et son Nicklausse oscillent entre un manque de maîtrise technique et une présence sympathique. Susana Cordon offre une des rares versions de Stella chantante. Mentions particulières pour quelques seconds rôles, comme le Crespel de Carlos Chausson. Mais personne ne laisse ici d'impression marquante.

Reste alors ce qui fait l'intérêt de l'objet : la version retenue, qui emprunte sa cohérence à l'édition intégrale de Michael Kaye et Jean-Christophe Keck et à ses dernières découvertes. Un pas de plus vers les introuvables Contes originaux ? Chacun pourra se faire sa propre opinion, avec quelques variantes jusqu'ici non enregistrées, comme l'Air de Dapertutto « Répands tes feux dans l'air », qui remplace « Scintille diamant », et toute une partie de l'acte de Venise, ici traité façon grand opéra, de construction plus logique que la version à mélodrames bien plus terne enregistrée par Kent Nagano, mais qui ne convaincra pas forcément de son évidence les amateurs du fameux Septuor de Raoul Gainsbourg, autrement efficace malgré son inauthenticité. Rien à faire, avec l'acte IV, l'intérêt retombe, et l'acte final, malgré les quelques notes de Stella, le chant de la Muse et la sublime scène chorale « On est grand par l'amour » - ici bien peu portée - n'arrive pas à soulever l'enthousiasme. Décevant.

P.F.