Bo Skovhus (Scaramouche), Dénise Beck (Suzon), Michael Weinius (René), Andrea Pellegrini (La Scaramouche), Palle Knudsen (Saint Lambert), Jakob Bloch Jespersen (Montmorency), Mathias Hedegaard (Lauzannes), Morten Frank Larsen (D'Argenville), Gert Henning-Jensen (Louis XV). Danish National Symphony Orchestra, Danish National Choir, dir. Michael Schønwandt (2013).
CD Da Capo 6.220637-38 (2 SACD). Distr. Abeille Musique.

Après l'examen du synopsis, l'écoute de cette Fête galante confirme vite les modèles de Poul Schierbeck en matière d'opéra. Si l'intrigue comme le style orchestral trahissent l'influence du maître et compatriote danois Carl Nielsen (Maskarade), Strauss, notamment avec son Rosenkavalier et Ariadne auf Naxos, mais aussi Puccini constituent de toute évidence des références tout aussi prégnantes. Le thème de la tromperie prend ici la forme d'un faux mariage arrangé par un noble libertin (René de la Rochefoucauld) pour séduire l'innocente Suzon, et entravé successivement par un directeur de théâtre (Scaramouche), un rival duelliste et l'arrivée inopinée du roi Louis XV. Son dénouement en forme de triomphe de la vertu rappellera nombre d'antécédents scéniques. Le livret de Max Lobedanz laisse une place non négligeable au comique de situation, faisant de l'élaboration dramaturgique des personnages une préoccupation auxiliaire. Il faut reconnaître à cette œuvre qui reçut un franc succès lors de sa création en 1931 à Copenhague une indéniable efficacité. Malgré la direction énergique de Michael Schønwandt et la réactivité irréprochable des musiciens danois, l'orchestration, fidèle à un idiome postromantique à l'exception de quelque tremolos sul ponticello (III, 7), n'échappe pas à quelques lourdeurs. Dans un univers mélodique majoritairement diatonique, qui garantit aux lignes vocales une certaine fluidité à défaut d'une grande originalité, on ne s'étonnera pas de reconnaître cependant quelques glissements chromatiques typiques du langage harmonique de Strauss. L'un des points forts de cette écriture reste son rythme dramaturgique : recours parcimonieux aux airs, multiplication des dialogues et des ensembles, relance par quelques passages mélodramatiques, tout concourt à une dynamique buffa bien ménagée.

Pour la résurrection de cet opéra certes pas indispensable mais non dénué de charme, le label Da Capo s'est donné les moyens de ses ambitions. La distribution est de grande qualité, et la préparation de chacun (solistes, mais aussi chœur et orchestre) a manifestement été prise au sérieux. Le ténor Michael Weinius concilie fluidité dans le haut de sa tessiture et grave charpenté. Crédible en libertin insouciant, il le reste lors de son court air à l'acte III, plus dramatique, alors qu'il réalise son amour sincère pour Suzon, dont il implore le pardon. On ne trouvera guère à lui reprocher que certains passages légèrement nasaux, conséquence probable d'un rhume passager... à tout jamais immortalisé. Le Scaramouche du baryton Bo Skovhus reste, en dépit d'un vibrato un peu large, d'une belle prestance. Le personnage innocent voire naïf de Suzon, qui apprend pourtant vite à se faire respecter, est remarquablement servi par la soprano Dénise Beck, capable de douceur et pourtant très présente, dont la découverte constitue la meilleure surprise de ce disque. Très complémentaire des rôles masculins des amis et complices de René (Saint Lambert, Montmorency et Lauzannes), La Scaramouche est campée par une mezzo radieuse. Dans une de ces ambiances de valse dont Schierbeck n'est pas avare, on dwécouvrira à l'acte II un air où la soliste est accompagnée par les trois hommes façon Frères Jacques avant la lettre ! Ne serait-ce que pour le charme exotique de la langue danoise, ce disque à la réalisation impeccable vaut la peine d'être entendu. Les amateurs de chocs esthétiques intenses passeront cependant leur chemin.

P.R.