Emiliano Gonzalez Toro (Phaéton), Ingrid Perruche (Climène), Isabelle Druet (Théone, Astrée), Gaëlle Arquez (Libye), Andrew Foster-Williams (Epaphus), Frédéric Caton (Mérops), Benoît Arnould (Protée, Saturne), Cyril Auvity (le Soleil, Triton, la Terre), Les Talens lyriques, Choeur de chambre de Namur, dir. Christophe Rousset (2012).
CD Aparté 0131. Distr. Harmonia Mundi.

Créée en janvier 1683 à Versailles, la neuvième des douze tragédies lyriques de Lully fut surnommée « l'opéra du peuple » après avoir connu un éclatant succès lors de sa reprise, en avril de la même année, devant le public parisien. Il est vrai que l'œuvre compte nombre d'atouts, à commencer par un impressionnant apparat scénique (diverses métamorphoses à l'acte I, une grande fête solaire au IV et, bien sûr, la spectaculaire chute du héros au V), trois rôles féminins d'égale importance (chose fort rare, sur la scène tragique), au moins quatre figures masculines puissamment dessinées, nombre de vers frappants de Quinault et une action qui ne cesse de s'accélérer à partir de l'acte II. Mais elle souffre aussi d'une densité musicale inégalement répartie et d'un Prologue franchement languissant.

Dans son enregistrement de 1993, réalisé en parallèle aux représentations lyonnaises (dans la scénographie très controversée de Karine Saporta), Minkowski avait contourné ce défaut en optant pour une lecture fougueuse, d'une grande théâtralité mais rendue étouffante par un montage trop serré. Rodée en concert à Beaune et Pleyel mais privée de l'expérience scénique, la version de Rousset se veut plus mesurée ; le chef des Talens lyriques laisse davantage respirer le récitatif et s'accorde des tempi plus larges, qui flattent les pauses lyriques. En revanche, ce geste ferme, net, dépourvu de « gras », confine bien souvent à la froideur : les (rares) moments joyeux, comme le Prologue et l'acte IV, n'ont rien de bien pimpant, les airs sur basse obligée (l'admirable « Il me fuit l'inconstant » de Théone et la Chaconne qui suit) manquent de liberté, et les passages les plus italianisants (divin duo Lybie/Epaphus) de souple sensualité.

La distribution de Rousset n'égale pas non plus tout à fait celle, il est vrai somptueuse, de Minkowski. Le couple de monarques égyptiens (impeccables Perruche et Caton) et la Libye frémissante d'Arquez soutiennent certes la comparaison avec leurs prédécesseurs, tandis que le Soleil viril, éclatant d'Auvity l'emporte haut la main sur un hésitant Fouchécourt (mais le score s'inverse en Triton, dans lequel Auvity perd ses repères rythmiques). Efficace, cinglante dans le registre de la virago, Druet manque cependant de charme en amoureuse et son timbre coincé dans le pharynx apparaît trop grinçant pour l'aimable Astrée. Gonzalez Toro campe un Phaéton gandin et séducteur ; il vocalise à ravir lorsqu'il le faut mais son absence de résonance grave le rend nettement moins troublant que l'immense Crook. Enfin, surtout, l'Epaphus rude et mal dégrossi de Foster-Williams gâche quelques-unes des plus belles scènes de l'opéra. En dépit de la bonne prestation du chœur (l'orchestre, lui, sonne un peu sec), l'avantage reste donc à la version la plus ancienne.

O.R.