Stephen Gould (Siegfried), Violetta Urmana (Brünnhilde), Tomasz Konieczny (Wotan, Wanderer), Anna Larsson (Erda), Matti Salminen (Fafner), Christian Elsner (Mime), Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Sophie Klussmann (Waldvögel). Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin, dir. Marek Janowski (1er mars 2013).
CD Pentatone PTC 5186408. Distr. Abeille Musique.

On l'a déjà souligné, on y revient : jamais Ring n'a été mieux enregistré depuis celui de Georg Solti au temps glorieux du Sonic Stage de Decca, avec ici en prime une captation plus naturelle, et surtout jamais Ring n'a été mieux dirigé depuis Karajan. D'ailleurs, avec sa battue rapide, son sens d'un équilibre sonore clair, tiré vers un diapason élevé typique des formations berlinoises, Janowski ne fait pas mystère de cette référence. Mais là où Karajan songeait à une perfection hédoniste, c'est d'abord le théâtre que Janowski transmue dans son orchestre au point qu'il en devient un personnage, celui par lequel Wagner décrit mais aussi commente son action. Une ironie, un mordant, une distance s'y font jour avec ce que l'on voit, ce que l'on entend, ce que disent les chanteurs. Orchestre tour à tour descriptif ou narratif, miroir psychologique où se met en abyme l'action, mais aussi des atmosphères, des paysages - forge angoissante, forêt mystérieuse, dragon stupéfiant. Pour Siegfried qui, des quatre volets, est le plus clairement exposé à la volonté du directeur musical, rien ne tient si le tempo global n'est pas celui d'un scherzo - sa place dans la structure classique que Wagner attribue à l'arche symphonique de son projet lyrique, car le Ring n'est pas qu'opéra. Janowski démontre qu'il a compris cette donnée fondamentale dès le prélude du premier acte où déjà menace le souffle de Fafner. Ici une allusion qui ne distend pas le temps, là où nombre de collègues l'arrêtent, croyant à un écho du prélude de Rheingold. Partout le théâtre règne pourtant en maître, et l'orchestre en prend sa part : écoutez seulement la dernière scène entre Mime et Siegfried, et essayez de trouver dans une autre version ces bois et ces cordes qui participent si étroitement aux échanges des chanteurs, à plan égal pour ainsi dire.

Surprise, Mime n'est plus le si bien chantant Andreas Conrad qu'on saluait dans Rheingold, mais son Loge d'anthologie, Christian Elsner, qui s'y livre à un étourdissant numéro d'acteur-chanteur, avec les moyens assez phénoménaux qu'on lui connaît. Et porté par la direction vive de Janowski, Stephen Gould ne fait à nouveau qu'une bouchée d'un rôle dont il a encore les aigus et toujours l'endurance. Son Chant de la forge en clouera plus d'un. On tremblait d'appréhension devant la Brünnhilde de Violetta Urmana, mais l'éveil de la Vierge lui va comme un gant, frémissante, tendre, inquiète mais curieuse, elle y met une présence que son vibrato n'efface pas, et va aux aigus du duo sans sourciller, même si elle ne les montre pas aussi dorés qu'ils devraient être - l'accord avec Stephen Gould est parfait en cela aussi. C'est un bémol léger, comme pour le Wanderer rogue, en voix de bois, de Tomasz Konieczny, mais qui dit tant, incarne avec une telle rage ! Formidable Alberich de Jochen Schmekenbecher au baryton ombreux, à la langue acide - tout le personnage semble déjà dans le timbre -, Erda amère assez peu conventionnelle d'Anna Larsson, Dragon monstrueux selon Matti Salminen, qui y compose beaucoup son chant mais pour des effets certains - ce monstre-là n'est pas en carton-pâte. Un Oiseau rapide, fruité, emmène Siegfried vers son destin. écoutez comment son clairon sonne, vif-argent, à la fin de l'acte II !

J.-C.H.