Andreas Schmidt (Œdipe), William Pell (Créon), William Dooley (Tirésias), Lenus Carlson (le Messager), William Murray (le Berger), Emily Golden (Jocaste), Friedrich Wilhelm Detering (Œdipe enfant). Orchestre et Chœur du Deutsche Oper de Berlin, dir. Christof Prick, mise en scène : Götz Friedrich (Berlin, Deutsche Oper, 1987).
DVD Arthaus Musik 101 667. Format 4:3. Distr. Harmonia Mundi.

Au sein du catalogue incroyablement abondant de Wolfgang Rihm, la musique scénique occupe une place de choix. C'est fort de deux grands succès (Jakob Lenz puis Die Hamletmaschine) que le compositeur abordait en 1986 l'Œdipe roi de Sophocle, sur la base de la traduction de Hölderlin mais dans une vaste refonte incluant des commentaires de Nietzsche et de Heiner Müller. La politique très volontaire du label Arthaus dans le domaine de l'opéra contemporain nous vaut de découvrir la création de ce vaste projet conçu avec Götz Friedrich et dont seule la première partie fut effectivement réalisée.

Dès les premières minutes de cet Œdipus, on est frappé par l'efficacité d'une dramaturgie condensée voire elliptique, mais rendue pourtant limpide par une véritable complémentarité de la musique et de la mise en scène. À la trame linéaire du récit viennent s'agréger des flashbacks, des actions simultanées ou encore des monologues d'Œdipe (les fragments de textes de Müller) qui dynamisent le récit sans en brouiller la cohérence. Les six scènes et leurs « commentaires » puisent leur force et leur tension dans une matière sonore d'une véhémence presque varésienne - l'orchestre ne retrouve ses cordes qu'au moment où Œdipe se crève les yeux - dont on perçoit bien plus l'énergie qu'une quelconque agressivité. L'écriture vocale, bien que tendue elle aussi, est portée par un souffle lyrique dont l'excellente distribution restitue l'amplitude.

À l'exception du vibrato légèrement crispé de William Dooley, qui sied finalement plutôt bien à un Tirésias déchiré par la révélation à laquelle il est acculé, les voix sont remarquables. Jocaste, digne et profonde grâce à la mezzo-soprano Emily Golden, trouve son antithèse dans le vindicatif Créon, que William Pell incarne en parfait ténor wagnérien. Mais c'est Andreas Schmidt qui est le plus remarquable, tant par sa souplesse vocale que par son naturel scénique. Sa longue tenue a cappella dans sa dernière intervention, juste avant son excommunication, est à la fois le moment le plus dépouillé et le plus intense de l'opéra.

Témoignant en outre d'une grande aisance avec l'écriture chorale et la construction dramaturgique, Rihm s'imposait déjà, il y a plus d'un quart de siècle, comme un tragédien accompli.

P.R.