L'OR DU RHIN
Tomasz Konieczny (Wotan), Iris Vermillion (Fricka), Christian Elsner (Loge), Antonio Yang (Donner), Kor-Jan Dusseljee (Froh), Ricarda Merbeth (Freia), Maria Radner (Erda), Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Andreas Conrad (Mime), Günther Groissböck (Fasolt), Timo Riihonen (Fafner), Julia Borchert (Woglinde), Katharina Kammerloher (Wellgunde), Kismara Pessatti (Flosshilde). Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin, dir. Marek Janowski (Berlin, live 22 novembre 2012).
CD Pentatone PTC 5186406. Distr. Abeille Musique.
LA WALKYRIE ♥♥♥
Tomasz Konieczny (Wotan), Iris Vermillion (Fricka), Petra Lang (Brünnhilde), Melanie Diener (Sieglinde), Robert Dean Smith (Siegmund), Timo Riihonen (Hunding), Anja Fidelia Ulrich (Gerhilde), Fionnuala McCarthy (Ortlinde), Heike Wessels (Waltraute), Kismara Pessatti (Schwertleite), Carola Höhn (Helwige), Wilke te Brummelstroete (Siegrune), Nicole Piccolomini (Grimgerde), Renate Spingler (Rossweisse). Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin, dir. Marek Janowski (Berlin, live 24 novembre 2012).
CD Pentatone PTC 5186407. Distr. Abeille Musique.

En 1983, Marek Janowski signait à Dresde un Ring surprenant, porté par la sombre lumière de la Staatskapelle et alignant une distribution passionnante mais dépareillée. Trente ans plus tard, il engrange un nouveau cycle, enregistré cette fois en concert et bénéficiant d'une prise de son stupéfiante de présence, de définition, aux dynamiques finement restituées, en fait la plus belle qu'on ait entendue pour le Ring depuis l'enregistrement officiel de Karajan pour la Deutsche Grammophon. Et surprise, la phalange berlinoise ne le cède en rien à la Staatskapelle, fluide, sonore, lumineuse, avec des bois suractifs, des cuivres légers, un quatuor dense mais clair. Pour Rheingold, c'est un écrin précieux, incroyable d'élan, distillant des couleurs subtiles, conduisant à force d'accents et d'effets saisissants - le voyage aller-retour au Niebelheim, incroyable travelling sonore -  une action incessante, tout le contraire du tunnel attentiste et brouillon délivré à Vienne par Thielemann. Lecture de chef, donc ? Ce serait mal connaître Janowski, qui sait le moindre recoin de son Ring.

Sa direction vive, alerte saisit exactement l'esprit ludique du Rheingold que Wagner surnommait « ma petite comédie ». Et l'on entend dans cet orchestre le pendant d'un jeu d'acteur aiguisé dont chaque protagoniste s'empare, dessinant des personnages qu'on n'est pas près d'oublier : Tomasz Konieczny, Wotan jeune et déjà amer ; Iris Vermillion, Fricka outrée et foudroyante sans tomber dans le style harengère ; Christian Elsner qui chante admirablement son Loge plein d'ironie ; Andreas Conrad, presque trop beau vocaliste  pour un Mime qui échappe enfin au ténor de caractère et retrouve la ligne éloquente qu'y mettait jadis Paul Kuen ; Jochen Schmekenbecker, Alberich mordant mais plus noble qu'à l'habitude - et c'est tant mieux. Aucun déficit dans cette distribution parfaitement appariée qui fait la comédie percutante et lui donne une dimension propre. Rheingold n'est plus un prologue mais bien une entité.

On craignait un peu Walküre en voyant la distribution sur le papier. Surprise, elle balaie nos craintes et excède nos attentes. Melanie Diener, souvent si générique, se brûle vive pour une Sieglinde éperdue devant un Robert Dean Smith dont le format vocal est exactement celui de Siegmund et qui gourme ses phrases, leur donne un galbe rappelant  le style des grands tenants historiques du rôle. Couple splendide, que le Hunding pure brute de Tïmo Riihonen terrorise de son grave abyssal. Miracle, Petra Lang est dans un de ses grands jours, généreuse en aigus et en ligne, elle donne à la jeune Brünnhilde un visage rayonnant qu'on avait perdu de vue depuis que les tenantes actuelles du rôle - Watson, Polaski, Dalayman, Voigt - l'avaient noyé sous le vibrato et les coups de glotte. Un bémol, Tomasz Konieczny reste trop strictement baryton pour le second Wotan, ses adieux sont courts de souffle et de timbre, mais partout il met dans ses mots une autorité sciante. Janowski conduit l'ensemble d'un seul geste à la fois altier et preste, allant droit devant, serrant le drame dans un tempo que certains jugeront trop vif. Il est en fait très proche, pour le métronome comme pour le style allégé et brillant, de Clemens Krauss ou du jeune Karajan, cherchant l'éclat - incroyable début du II, si tendu - mais faisant aussi, lorsqu'il le faut, son orchestre chambriste. On attend la suite avec une certaine impatience, très curieux de ce qu'il tirera de la grande ballade fantasque qu'est Siegfried.

J.-C.H.