Guylaine Girard (Mèlîye), Alain Gabriel (Pière), Patrick Delcour (Djake). Orchestre et chœurs de l'Opéra royal de Wallonie, dir. Jean-Pierre Haeck (live 2006, rééd.).
CD Musique en Wallonie MEW 0844-0845. Distr. Codaex.

Du grand violoniste belge Eugène Ysaÿe, créateur de tant d'œuvres majeures, on ne connaît guère que les sonates pour violon et l'on a oublié qu'il fut aussi chef d'orchestre. Il acheva sa carrière en composant un opéra en un acte, Pière li houyeû (Pierre le mineur), dont le sujet lui avait été inspiré, cinquante ans plus tôt, par la dureté des grèves dont l'écho l'avait frappé. Créé à Liège en 1931, retransmis en direct par la radio sur ordre de son élève, la reine Élisabeth, pour qu'Ysaÿe puisse l'entendre de sa chambre d'hôpital, il n'a connu qu'une carrière en pointillé. Cela s'explique par le choix militant de la langue wallonne (« la seule que les Russes ignorent » dira-t-il), et par un sujet naturaliste passé de mode : au plus fort d'une grève des mineurs, Mèlîye périt en tentant de désamorcer la bombe que son mari, Pière, avait placée sur la fenêtre du patron ; cette mort, qui n'a pas fait progresser la cause sociale, décide Pière à aller expier son inconséquence dans un couvent. Face à ce couple passionné, Djake, le père de Mèlîye, incarne l'incrédulité fataliste.

Si le langage musical puissant et tourmenté d'Ysaÿe évoque celui des opéras de ses amis franckistes, il est beaucoup plus intense et lyrique que ceux de Magnard, d'Indy ou Ropartz et ne trouve d'équivalent que chez Chausson. Le duo d'amour, les monologues de Mèlîye, la sérénade avec chœur, la prière collective frappent par leur éloquence directe. On pense souvent aussi à Tchaïkovski.

Captée en concert en 2006, cette interprétation - qui manque un peu de netteté dans l'orchestre - vaut par l'engagement du chef, des chanteurs, poussés sans faillir aux limites de leurs ressources, et du chœur. Une œuvre singulière qui mérite le détour, et plus si affinités.

G.C.