Benjamin Bernheim (Faust), Véronique Gens (Marguerite), Andrew Foster-Williams (Méphistophélès), Jean-Sébastien Bou (Valentin), Juliette Mars (Siebel), Anas Séguin (Wagner/un Mendiant), Ingrid Perruche (Dame Marthe). Chœur de la Radio flamande, Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset (enr. studio et live, juin 2018).
Palazzetto Bru Zane. Présentation et synopsis en français et en anglais. Distr. Outhere.


Faust
, ce fut d’abord la version de 1859, créée au Théâtre-Lyrique avec des dialogues parlés et des mélodrames, parfois proche de l’opéra-comique – le diable, par exemple, y est plus persifleur que démoniaque, Dame Marthe beaucoup plus haute en couleur. C’est cette première mouture que ressuscitait le Palazzetto Bru Zane la saison dernière, fidèle à l’édition critique de Paul Prévost, pour célébrer bicentenaire de la naissance de Gounod. Mais on n’entendra pas toujours ici la même chose que les spectateurs de la création : certains numéros disparurent avant.

Découvrons ainsi, au premier acte, un Terzetto entre Faust, Siebel et Wagner, ainsi qu’un duo d’adieu entre Marguerite et Valentin ; n’attendons pas la Ronde du veau d’or, mais la Chanson du scarabée. Plus tard, au jardin, l’orchestre seul exprime les enchantements de la nuit. Dans la chambre de Marguerite, Siebel chantera « Versez le chagrin dans mon âme » et non pas « Si le bonheur à sourire t’invite ». Devant l’église, Valentin aura un air, lui qui n’a pas encore « Avant de quitter ces lieux » - destiné à Covent Garden : l’heure du Chœur des soldats n’a pas encore sonné. Et pas de ballet, évidemment – imposé ensuite par le passage à l’Opéra. Bref, un autre Faust, indispensable et singulier, que nous faisaient seulement pressentir les suppléments de l’intégrale Plasson. Si singulier, d’ailleurs, qu’il invalide la traditionnelle comparaison avec les autres versions de la discographie.

Globalement, le disque confirme plus ou moins l’impression suscitée par le concert aux Champs-Élysées, le studio pouvant s’avérer plus flatteur. D’une jeunesse rayonnante, Benjamin Bernheim, qui remplaçait Jean-François Borras, est un modèle de style, avec une voix mixte de rêve et des phrasés enjôleurs – ne ferait défaut, au-delà des notes, que l’approfondissement des mots, qu’incarne Véronique Gens, incomparable diseuse. Certes, le timbre s’est légèrement acidulé et le vibrato resserré, elle incarne mieux l’innocence blessée que l’éveil à l’amour, plus à l’aise à l’église qu’au jardin – elle choisit aussi, pour les aigus, les variantes plus graves, mieux adaptées à sa tessiture. Le Valentin patricien de Jean-Sébastien Bou, soldat de fière allure, voix et ligne superbes, ne trouverait guère de rival. Andrew Foster-Williams suscite moins de réserves qu’après le concert, même s’il force ses moyens pour paraître plus démoniaque, l’accent anglais ne messeyant pas à l’ironie de ce diable de 1859 – cela dit, on se demande toujours pourquoi le Palazzetto n’a pas choisi ici, comme pour les autres rôles, un chanteur français. Excellent Wagner, mieux servi qu’en 1869, d’Anas Séguin, frémissant Siebel de Juliette Mars, truculente Dame Marthe d’Ingrid Perruche, le remarquable Chœur de la Radio flamande faisant le reste.  

Les Talens Lyriques sonnent beaucoup mieux que dans la salle, avec des sonorités que les instruments d’époque rapprochent de celles de la création. Christophe Rousset a regardé la partition au fond des yeux, à l’affût des nuances, plein d’énergie pour la défendre. Direction théâtrale et colorée, mais qui offre aussi quelques moments moins heureux : la Valse, par exemple, est raide et précipitée, le jardin, malgré des alanguissements, manque parfois de sensualité.

Didier van Moere