Elcin Huseynov (le podestat de Modène), Giorgio Valerio (le comte de Culagna), Hyuksoo Kim (Titta), Alessandro Ravasio (l’Historien), Laure Kieffer (la comtesse de Culagna), Lucia Amarilli Sala (Renoppia), Kaori Yamada (Rosa), Margherita Sala (Giglio), Dyana Bovolo (l’Aubergiste), Orchestre symphonique de Milan Giuseppe Verdi, dir. Aldo Salvagno (live, 2017).
CD Dynamic CDS7798. Notice, synopsis et livret bilingues (ital./angl.). Distr. Outhere.

Editeur de Puccini – entre autres –, Giulio Ricordi (1840-1912) n’était pas seulement le petit-fils de Giovanni et le fils de Tito I (qui avaient édité Verdi) : il se piquait aussi de composition, sous différents pseudonymes. Il commit sa seconde opérette sous celui de Julius Burgmein : la création, au Teatro Alfieri de Turin, de La secchia rapita (Le Seau volé, 1810) se solda par une presse désastreuse et ses rares reprises par un accueil poli. Oubliée pendant un siècle, La secchia rapita est aujourd’hui enregistrée pour la première fois. Etait-ce nécessaire ?

Inspiré du poème d’Alessandro Tassoni (1622), le livret de Renato Simoni (futur co-librettiste avec Adami de Turandot) en fait un vaudeville : du conflit médiéval entre Bologne et Modène, dont un seau fut le trophée cocasse, ne reste que l’écume où la petite histoire dépasse la grande. L’Aubergiste bolonaise veut récupérer son seau, les amants adultères de Modène (Titta et la femme de son meilleur ami, le comte de Culagna) chantent leur amour, le Comte rate sa vengeance et la guerre avorte en happy end.

Le sujet avait déjà inspiré Salieri (1772), Zingarelli (1793) et Francesco Bianchi (1794). Quid de Ricordi ? La presse, à la création, avait qualifié la musique de « pauvre » et « puérile ». On n’ira pas si loin. A côté d’un réel sens mélodique (la ballade de l’Aubergiste et son refrain arcadien), d’un vrai talent parodique (la fausse mort de la Comtesse, l’apparition du Podestat en majesté, l’orientalisme-turquerie du III), le ton d’ensemble, s’il est charmant (entre roucoulades, combats en dentelle et pathos au second degré), peine à trouver une patte personnelle : on entend surtout les souvenirs stylistiques que Ricordi semble avoir engrangés puis redonnés ici sous le couvert de valses ou galops. Entre les séquences proprement « opérette », où Arthur Sullivan n’est pas loin, le parfum de La rondine s’annonce presque… mais affadi dans une partition où l’harmonie et l’orchestration en restent à une sagesse prudente.

Surtout quand, comme ici, l’œuvre nous est révélée de façon incomplète, tant dans le fond que dans la forme. Faute des dialogues parlés, les enchaînements de numéros musicaux et le sens de l’action resteront opaques à qui ne pourra lire le livret fourni (en italien ou en anglais – mais reconnaissons là un louable effort de l’éditeur). Quant au rendu musical, il ne fait pas justice à ce projet de réhabilitation : des choristes à la voix blanche et à la mise en place erratique (pour une partition rythmiquement simpliste !), une Comtesse charmante mais dépassée dès qu’il faut nourrir un peu le leggero, un Comte détimbré et court de souffle, des comprimari au timbre enfui tout comme la justesse (Giglio et Rosa), un ténor (Titta) correct mais sans charme – voilà beaucoup de faiblesses côté voix, que le live seul ne peut justifier. L’orchestre, en revanche, est joliment investi et sonnant, et l’on devine la baguette d’Aldo Savagno convaincue par sa mission : la verve dansante de la partition, ses couleurs instrumentales, sont ragaillardies avec entrain. Malgré cette réalisation musicale inégale, les curieux auront raison de l’être.

C.C.