Pavlo Hunka (le tsar Dodon), Venera Gimadieva (la reine de Chemakha), Alexy Dolgov (le tsarévitch Gvidon), Konstantin Shushakov (le tsarévitch Aphron), Alexander Vassiliev (le général Polkan), Agnes Zwierko (Amelfa), Alexander Kravets (l’Astrologue), Sheva Tehoval (la Voix du coq d’or). Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, dir. Alain Altinoglu. Mise en scène : Laurent Pelly (Bruxelles, décembre 2016).
DVD et BR BelAir BAC147. Distr. Outhere.


Voici enfin un Coq d’or qui allie au plaisir musical une mise en scène traduisant avec une rare acuité la puissante charge subversive du dernier opéra de Rimski-Korsakov. Créée à Bruxelles en 2016 puis reprise l’année suivante à Nancy et à Madrid, la production de Laurent Pelly se situe en quelque sorte aux antipodes du célèbre spectacle inspiré du kabuki qu’Ennosuke Ichikawa III avait conçu pour le Châtelet en 1985 et repris en 2002 (DVD TDK). Loin de la surcharge décorative de l’équipe japonaise, Pelly et Barbara de Limburg ont opté pour la plus grande simplicité. Réduits à leur plus simple expression, le palais du tsar Dodon et la tente de la reine de Chemakha prennent place sur un plateau légèrement en relief recouvert de petites roches noires ressemblant à du basalte, évoquant bien plus la désolation de la guerre que les splendeurs de la Russie impériale ou l’enivrante sensualité d’un Orient fantasmatique. C’est un lit immense et d’un kitsch parfaitement assumé qui fait office de trône, symbole éloquent de la paresse d’un tsar qui conservera son pyjama même pour faire la guerre... : au retour de celle-ci, au troisième acte, Dodon fait son entrée triomphale couché dans le lit posé sur des chenilles de tank. Quant à la tente de la reine de Chemakha, elle tient à la fois de la corne d’abondance et de la structure constructiviste de la tour Tatline qu’on aurait renversée. Vêtus de vêtements blancs, le teint livide et les cheveux complètement blanchis, les boyards, tsarévitchs et autres gens du palais sont grotesques à souhait, sans jamais verser toutefois dans l’outrance. Le contraste est total avec le peuple, portant de sobres costumes noirs, la reine de Chemakha, moulée dans une robe argentée très provocante, et surtout le Coq, dont le plumage doré apporte la seule note vraiment colorée (si l’on excepte le charmant perroquet rouge du premier acte). Le Coq est par ailleurs interprété par une danseuse (excellente Sarah Demarthe), qui imite merveilleusement bien la démarche et les mouvements de tête saccadés du gallinacé. D’une précision d’horloger, la mise en scène se distingue par une direction d’acteurs extrêmement fine, notamment lors de la grande scène entre Dodon et la reine de Chemakha, au charme vénéneux brillamment mis en valeur par Laurent Pelly.

La femme fatale de Rimski-Korsakov trouve en Venera Gimadieva une interprète exceptionnelle, aussi ensorcelante par son chant capiteux que délicieusement perverse par sa gestuelle savamment étudiée. Dès les premières mesures de son fameux Hymne au Soleil, elle déploie les splendeurs d’une voix ductile qui se joue des mélismes orientalisants de son rôle et dégage un érotisme ravageur auquel Dodon ne saurait évidemment résister bien longtemps. Pavlo Hunka campe un tsar d’une belle assurance vocale et dont il rend bien les côtés veule, égoïste et jouisseur. Semblant tout droit sorti d’un tableau de George Grosz, le général Polkan d’Alexander Vassiliev sert de repoussoir idéal à Dodon et aux deux Tsarévitchs, fort bien défendus par Alexey Dolgov et Konstantin Shushakov. Si Agnes Zwierko est une Amelfa à la somptueuse voix grave et Sheva Thoval un Coq tonitruant à souhait, Alexander Kravets a du mal à négocier le passage en voix de tête et lance assez maladroitement les notes stratosphériques de l’Astrologue. Très investi sur le plan musical, le chœur bouge bien et participe pleinement à l’action imaginée par Pouchkine. Dans la fosse, Alain Altinoglu accomplit un travail admirable : en plus de son sens aigu de la tension dramatique, il sait bien mettre en lumière les chatoiements d’une partition qui aura rarement paru aussi entêtante. Grâce à la chimie qui a manifestement opéré entre le chef et Laurent Pelly, ce Coq d’or constitue une référence désormais incontournable.

L.B.