Daniela Dessí (Fedora), Fabio Armiliato (Loris), Alfonso Antoniozzi (De Siriex), Daria Kovalenko (Olga), Margherita Ritondi (Dimitri), Manuel Pieratelli (Désiré), Alessandro Fantoni (Baron Rouvel), Luigi Roni (Cirillo), Claudio Ottino (Boroff), Roberto Maietta (Gretch), Davide Mura (Lorek), Sirio Restani (Lazinski), Sebastiano Carbone (un Paysan), Orchestre et Chœurs du Théâtre Carlo Felice, dir. Valerio Galli, mise en scène : Rosetta Cucchi (Gênes, mars 2015).
DVD Dynamic 37772. Distr. Outhere.

Comme récemment devant le Rigoletto enregistré par un Hvorostovsky conscient de l’imminence de sa mort, la présente Fedora de la regrettée Daniela Dessí, tragiquement terrassée en 2016, place le critique devant un dilemme. La décence veut qu’en ces circonstances il ne s’autorise aucun jugement péremptoire envers des artistes sur lesquels le rideau vient définitivement de tomber. Le devoir l’oblige à exprimer, avec retenue mais franchise, ses appréciations sur ce qu’il voit et entend. De la volcanique princesse Romanov la chanteuse gênoise avait épousé le destin tragique dès 1999 à Rome, dans les bras de Plácido Domingo, avec un succès triomphal. L’artiste venait du baroque mais montrerait un éclectisme sans bornes, capable de l’exposer aux périls de Norma ou de Gioconda comme à ceux de l’Anna mozartienne ou des héroïnes verdiennes. Elle disposait à la quarantaine d’un abattage technique et théâtral qui, attisé par un tempérament empreint de vérisme noble, la désignait naturellement pour servir ce chef-d’œuvre trop méconnu de Giordano. Quelque vingt ans plus tard, la rage de vivre et d’aimer qui anime cette créature vindicative jusqu’au suicide final se traduit en fulgurances fatales pour l’équilibre de son émission : les aigus forte instables gâtent ce que le chant sur le souffle a pu conserver de fluidité et de soutien. Reste un port altier, en symbiose avec le tranchant des récitatifs.

Par respect pour son époux, le ténor Armiliato, que nous n’avons jamais ménagé, disons que l’émotion ressentie à voir ce Loris enserrer l’objet de son amour expirant, va de pair avec une certaine sévérité à l’endroit de son chant improbable. N’est point ici Caruso ou Corelli qui veut. D’autres carences entachent la distribution, telles celles d’un Antoniozzi sinistré en De Siriex ou d’un Luigi Roni des mauvais jours, au côté de la trémulante Olga de la russe Kovalenko, l’ensemble étant porté par un chef bienveillant et chaleureusement lyrique, à la tête d’un orchestre globalement satisfaisant. A l’image de la régie signée Rosetta Cucchi, pianiste reconvertie dans la mise en scène, qui offre à la protagoniste hier campée au théâtre par Sarah Bernhardt – avant les incarnations des Bellincioni, Callas, Olivero ou Freni – un cadre bourgeois autant que princier. Le vieux Loris, prostré sur son siège à l’avant-scène et qui est censé se remémorer les péripéties et la catastrophe de cette tragédie franco-russe, invite à regarder l’opéra comme une remémoration du passé, dont les épisodes se déroulent in vivo au second plan, l’arrière-scène laissant deviner d’inutiles images de la Grande Guerre. En somme, un document valant davantage par la charge affective qu’il porte en lui que par ses qualités intrinsèques.

J.C.