Premysl Koci (le Diable), Ivo Zidek (Honza), Milada Jiraskova (l’Epouse d’Ivan), Antonin Votava (Ivan), Josef Celerin (le Père), Zdenek Otava (Ondrej), Chœur et Orchestre Symphonique de la Radio de Prague, dir. Vaclav Jiracek (1954). Calvaire : Orchestre Philharmonique Tchèque, dir. Vaclav Neumann.CD Supraphon SU42242. Distr. DistrArt Musique.

Que faire de l’opéra en Tchéquie après Dvorak et Smetana face à la révolution Janacek ? Otakar Ostrcil (1879-1935) était un moderniste, chef de grande envergure, défenseur acharné justement de Janacek dont il créa Les Voyages de M. Broucek qui firent un flop, il imposa au répertoire de la Philharmonie et du Théâtre National Debussy (première tchèque de Pelléas et Mélisande en 1921), Milhaud, Stravinsky, Berg, et dévoila à Prague tous les opéras de Janacek montés d’abord à Brno.

Pour son ultime ouvrage lyrique, Jiri Maranek lui brosse un livret librement adapté d’Ivan le fou de Léon Tolstoï, lui fournissant une parabole sur le bien et le mal qui, derrière son ton de conte de fée avec diable et princesse malade, proteste implicitement contre la montée du nazisme. Sa création à Brno en 1933 puis à Prague l’année suivante étonna le public et la critique : l’œuvre faisait oublier son pillage raisonné des modes populaires par une couleur amère, des sonorités âcres, un ton desséché qui reprenait les audaces des compositeurs les plus persiffleurs de la nouvelle génération tchèque, celle qui allait disparaître dans les camps de concentration – Krasa, Haas, Ullmann. Littéralement, sa langue était celle de la seconde Ecole de Vienne, sa syntaxe, celle des compositeurs modernistes de la République de Weimar, tels Hindemith ou Krenek.

Cette veine expressionniste est ici magnifiée par la direction acérée de Vaclav Jiracek – personnalité majeure de l’histoire de la direction d’orchestre tchèque, mahlérien historique dont l’art fut trop peu documenté – et emportée par une troupe qui ose charger les caractères pour peindre la parabole. Admirable le Honza d’Ivo Zidek aux aigus si pleins : il les conduit tous dans ce conte noir où Ostrcil stylise jusqu’à une certaine ascèse sa veine lyrique. Mais il faut souligner aussi le grain si noir, la voix si mordante de Premsyl Koci : il y a du Wotan dans son Diable. Les ingénieurs de Supraphon ont restauré aussi bien qu’ils ont pu cette bande restée jusque là inconnue ; sa mono sèche correspond assez à la nature de l’ouvrage. L’éditeur y a ajouté la première version du terrible Calvaire, chef-d’œuvre symphonique de l’auteur dont Vaclav Neumann et la Philharmonie Tchèque soulignent les vastes lignes inflexibles, l’orchestre si mahlérien. Ils y reviendront bien plus tard pour une seconde version parée des conforts de la stéréophonie, mais la vérité de l’ouvrage est bien ici, dans cette monophonie qui saisit le grain des cordes. Quatre mois après la création du Royaume d'Honza, Otakar Ostrcil rendait son dernier soupir, s’épargnant l’holocauste qui arrivait.

J.-C.H.