Damian Thantrey (Stephen Ward). Nova Music Opera Ensemble, dir. George Vass (2016).
CD Resonus Classics RES10197. Distr. Resonus Classics.

 

L’opéra de chambre That Man Stephen Ward (2006-07) est fondé sur des faits réels : l’affaire Profumo, fameux scandale politique qui avait secoué l’Angleterre du début des années 60, est envisagée ici du point de vue de Stephen Ward, ostéopathe qui, après s’être formé en Inde, avait acquis de retour au pays une forte notoriété et tenait littéralement entre ses mains les hautes figures de l’intelligentsia britannique.

On n’entre pas immédiatement dans l’univers opératique de Thomas Hyde, compositeur né en 1978. Parce qu’elliptique, le livret conçu par David Norris semble d’abord opaque. Sa finesse et son humour apparaissent so british, voire too british, et l’on se sent tout d’abord observateur distant de ce contrepoint de bulletins d’informations émanant de la BBC, de cette atonalité libre mâtinée de modalité – on pense à Roussel, mais l’influence vient sans doute plus directement de Britten –, de ces discrètes interventions de batterie et de cette touche de swing distingué. Malgré des textures et des ambiances versatiles, incluant une chanson de cabaret, l’ensemble reste cohérent. La voix parlée, libre ou exactement synchrone avec les rythmes instrumentaux, est fortement sollicitée et Damian Thantrey manifeste ici, outre une diction impeccable, une véritable présence de comédien. On appréciera tout autant les qualités d’un ténor subtil dont la projection vocale est cependant très nette.

Davantage encore à la scène 2, la beauté du timbre et la capacité de l’interprète à diversifier les teintes sans compromettre son homogénéité mélodique rejoignent l’idéal du ténor britténien. Son passage en falsetto pour imiter Christine Keeler, épicentre du scandale pour sa relation avec John Profumo et avec l’espion russe Ivanov, produit un effet comique sans tomber dans le burlesque, et confirme son aisance avec les rôles multiples. Si, pour les parties instrumentales, Thomas Hyde privilégie l’individualité des lignes et une tendance contrapuntique, quelques passages puisent de façon furtive, à des fins expressives, dans des alliages de timbres plus fantomatiques.

L’accélération de la scène 3, où se heurtent l’évocation de la crise des missiles de Cuba et, sur fond de danses à trois temps et d’harmonies sucrées, l’ivresse des soirées organisées par Ward, se traduit par une valse de textures. Une descente de police ajoute davantage encore d’instabilité et un clavecin fera son apparition, impliqué dans un pastiche de récitatif. Une chanson de cabaret puis un bref et minimal passage a cappella permettent à Damian Thantrey, dont l’alternance des rôles frise ici le one man show, de se montrer tour à tour drôle et émouvant. L’agitation croissante de Ward, cloîtré chez lui en attendant des appels de soutien qui ne viendront jamais – il est historiquement avéré qu’il a totalement été lâché par ses prestigieux « amis » au moment de son procès –, est astucieusement rendue par une musique au débit névrotique, confiée aux percussions. Un fragment d’air, tout en arabesques et ornementations souples, est inséré dans un passage parlé.

Ward a beau réfuter les accusations de proxénétisme qui pèsent sur lui, la haute teneur politique de son procès ne peut lui laisser espérer un jugement équitable. Sans attendre le verdict, qu’il connaît déjà, il préférera mettre fin à sa vie par l’ingestion de barbituriques. Sur un interlude instrumental aux faux airs de Pierrot lunaire, il prépare sa lettre de suicide. Une mélodie accompagnée au piano évoque là encore Britten. Entre la mélodisation de la voix en parlé-rythmé, les textures transparentes et une citation distordue de Music for a While, les six musiciens du Nova Music Opera Ensemble, remarquables de finesse et d’équilibre tout au long de cet opéra, sont particulièrement mis en valeur.

La fixité de cette captation non scénique bénéficie à la clarté de la prise de son et à la présence remarquablement homogène de la voix. Passé un temps d’acclimatation, l’étrangeté de cet opéra se transforme en originalité, musicale mais davantage encore dramaturgique. Assurément british.

P.R.