Magdalena Kozena (Mélisande), Christian Gerhaher (Pelléas), Gerald Finley (Golaud), Franz-Josef Selig (Arkel), Bernarda Fink (Geneviève), Joshua Bloom (le Docteur, le Berger), Elias Mädler (Yniold). Chœur et Orchestre Symphoniques de Londres, sir Simon Rattle (live janvier 2016).

SACD + audio BR LSOO790. Distr. Harmonia Mundi.

 

Un mois après la Philharmonie de Berlin, c’était au Barbican Center, un Pelléas et Mélisande « semi staged » par Peter Sellars, devenu aujourd’hui CD et non pas DVD. Y gagne-t-on ? Y perd-on ? L’ensemble laisse en tout cas une impression mêlée. La direction de Sir Simon, à la tête de son futur orchestre, peut fasciner par sa transparence chambriste et ses raffinements impressionnistes, cet art de faire saillir tel ou tel détail, telle ou telle couleur. C’est plastiquement d’une séduction capiteuse, jusqu’à un certain narcissisme. Ces raffinements, en effet, frisent parfois la sophistication et émoussent les tensions – caractéristique du Rattle d’aujourd’hui. Sa façon à lui, peut-être, de retrouver la suggestion symboliste, à mille lieues du « théâtre de la peur et de la cruauté », selon la formule d’André Schaeffner reprise par Pierre Boulez. La seconde moitié du troisième acte, par exemple, en pâtit. Un Karajan, qui ne poussait pas moins loin le culte de la beauté sonore, avançait beaucoup plus, alors qu’on a plutôt le sentiment d’entendre ici une symphonie lyrique. Se plaindra-t-on que la mariée est trop belle, que c’est trop beau pour être vrai ?

La distribution, elle, a d’abord une qualité essentielle ici : on y articule le français. Mais tous n’ont pas la même intimité avec la prosodie de la langue. La palme revient à Gerald Finley, qui revisite Golaud, au début vrai demi-frère de Pelléas, jeune et lumineux, tout en subtilités, dont la violence n’éclatera que très tard, capable d’infimes nuances même pour les notes les plus aiguës. Au détour d’une phrase, Magdalena Kozena peut devenir plus exotique, Mélisande assez mûre, plus séductrice que de coutume, pas très naturelle, au point de sombrer parfois dans l’afféterie. Naturel, Christian Gerhaher l’est encore moins, d’abord parce que les phonèmes du français peuvent le prendre au dépourvu et que, de fait, le récitatif mélodique propre à l’œuvre lui échappe malgré ses scrupules – un Liedersänger accompli ne fait pas forcément un Pelléas, dont les aigus le mettent à la peine. Bernarda Fink, très éloquente dans la lecture de la lettre et Franz-Josef Selig, patriarche tout de tendresse émue, sont remarquables. Quant à confier Yniold à un jeune garçon, fût-il membre du Tölzerknabenchor…

Voilà finalement un Pelléas assez singulier, d’une beauté absolue mais plutôt factice, voire fallacieuse. Sommes-nous conditionnés par des lectures plus orthodoxes ? Pas vraiment : un Boulez, un Karajan, un Abbado, un Vittorio Gui proposaient eux aussi, à leur manière, des visions singulières… Cela dit, leurs distributions n’étaient pas parfaites non plus, malgré le Golaud de José van Dam ou la Mélisande de Denise Duval…  

D.V.M.