Judith van Wanroij (Alceste, la Gloire), Edwin Crossley-Mercer (Alcide), Emiliano Gonzalez Toro (Admète), Ambrosine Bré (Céphise, Proserpine), Douglas Williams (Lycomède, Charon), Etienne Bazola (Cléante, Straton, Pluton, Éole), Enguerrand de Hys (Lychas, Phérès, Alecton, Apollon, Triton, Suivant de Pluton), Bénédicte Tauran (Thétis, Diane, Nymphe de la Marne), Lucia Martin Cartòn (Nymphe de la Seine, Femme affligée, une Ombre), Chœur de chambre de Namur, Les Talens Lyriques, clavecin et dir. Christophe Rousset (2017).

CD Aparte. Notice en français. Distr. Hamonia Mundi.

 

Quand Lully fit représenter sa seconde tragédie en musique, Alceste, au Théâtre du Palais-Royal en janvier 1674, le public lui fit fête mais il eut à affronter les critiques acerbes de Racine et Boileau qui, à la naissance même d'un genre tout nouveau en France, savaient déjà ce qu'il devrait être... En s'inspirant de la tragédie d'Euripide, le livret de Philippe Quinault s'accorde, il est vrai, des libertés qu'on aurait peine à imaginer aujourd'hui, même dans un film de série B ou une comédie musicale : le sacrifice d'Alceste offrant sa vie pour prendre la place, aux enfers, de son époux, le roi Admète, puis la victoire d'Alcide (Hercule) allant l'arracher aux puissances d'en bas, sont en effet mêlés aux débats frivoles de Céphise, jolie suivante d'Alceste aux prises avec deux amants ridicules, Straton et Lychas ; quand il la sommeront de choisir entre eux, elle trouvera cette jolie réponse, « L'hymen détruit la tendresse, Il rend l'amour sans attraits, Voulez-vous aimer sans cesse, Amants, n'épousez jamais ». Mais « tous ces lieux communs de morale lubrique, Que Lully réchauffa des sons de sa musique » (Boileau) assurèrent le succès de l'ouvrage. Face à cela, que pèse l'exaltation jusqu'à l'absurde de l'amour conjugal et de la victoire d'Alcide sur son amour pour Alceste ? Peu de chose mais, comme le rappelle Jean Duron dans le remarquable texte de la pochette, la nouveauté de Quinault et Lully consistait à introduire le tragique dans le spectacle lyrique français voué jusque là à la pastorale à peine teintée de comédie.

L'enregistrement réalisé salle Gaveau du 13 au 17 juillet 2017 en contrepoint de la version de concert donnée au 35e Festival international d'opéra baroque et romantique conserve les qualités qu'on a pu applaudir dans la cour des Hospices de Beaune le 14 juillet, avec le bénéfice des micros pour le second clavecin dans les tuttis et pour le luth. La prononciation des solistes comme du chœur est si parfaite qu'il est inutile de se reporter au livret, sinon pour savoir quels personnages sont en scène ; car, quand neuf chanteurs se partagent vingt-six rôles, on peine à s'y retrouver, ce que ne permettait pas la douce obscurité de la nuit bourguignonne. Manque seulement la chaleur des applaudissements qui saluèrent la scène de Charon ; peut-être Douglas Williams était-il plus stimulé par la présence du public ? Peut-être, même, d'une façon générale, la prise de son qui arrondit les angles, le polissage attentif des dialogues et des airs atténuent-ils un peu la tension vitale du concert. On n'en saluera pas moins l'impeccable tenue d'une distribution homogène, l'émouvante noblesse de Judith van Wanroij (Alceste), la vaillance très humaine d'Emiliano Gonzalez Toro (Admète), l'ardeur jalouse d'Étienne Bazola (Straton puis Pluton) qui, avant de se faire remettre à sa place par Alcide (Edwin Crossley-Mercer), se heurte aux railleries de son rival Lychas (Enguerrand de Hys, plus remarquable encore en vieillard pusillanime refusant de mourir pour son fils) et de leur coquine maîtresse Céphise (Ambroisine Bré). Si Lully pouvait, à son tour, revenir des enfers, il aurait tôt fait d'intriguer pour mettre sous les verrous le directeur de l'Opéra, prendre sa place et offrir celle de chef principal à Christophe Rousset... qui aurait l'élégante prudence de la refuser au cas où le Surintendant voudrait rétablir l'usage de la canne pour battre la mesure : on a vite fait de se donner un coup sur les orteils.

G.C.