Marie-Adeline Henry (Armide), Antonio Figueroa (Renaud), Judith van Wanroij (la Gloire, Phénice, Mélisse...), Marie-Claude Chappuis (la Sagesse, Sidonie, une Bergère), Marc Mauillon (Aronte, la Haine), Douglas Williams (Hidraot), Cyril Auvity (le Chevalier Danois), Emiliano Gonzalez Toro (Artémidore), Etienne Bazola (Ubalde), Chœur de chambre de Namur, Les Talens Lyriques, clavecin et dir. Christophe Rousset (2015).

CD Aparte. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

La cellophane qui enclot les disques compacts a beau opposer une résistance farouche au décachetage, sept mois pour délivrer Armide de sa gangue transparente, c'est presque inexcusable. Presque ? Quand on a vu un opéra représenté, la perspective d'en rendre compte à nouveau en le réécoutant à l'aveugle, c'est un peu, toute proportion gardée, comme visiter sur son lit de mort un être dont la vie enchantait. On le trouvera paisible, souriant par artifice, là... et pas là. Et soi-même ? Rien à dire, sinon les non-dits qui affleurent.

Et pourtant, s'agissant de la production nancéienne d'Armide, la mise en scène de David Hermann n'était pas de celles qu'on languit de revoir. Presque oubliée malgré les qualités de la « direction d'acteurs sobre et rigoureuse jusque dans la violence, sous-jacente ou manifeste, qui règle les rapports entre les protagonistes : Aronte qui s'écroule, frappé de mort, après avoir annoncé que Renaud a délivré les captifs, crée le premier choc qui met en marche le moteur de la tragédie ». Curieusement, ce sont les images du film imposé durant tout le prologue (on y voyait le bon roi Stanislas qui, se prenant pour l'aïeul de son gendre, traversait « sa » place pour assister à la représentation, indifférent aux gueux de Callot qui croupissent dans la cour) qui ressurgissent. Peut-être parce que ces vingt premières minutes de couplets à la gloire du Roi-Soleil ont dicté à Lully des pages moyennement inspirées et que Christophe Rousset - crainte d'ennuyer ? - donne l'impression de presser.

Au premier acte on retrouve l'Armide si incarnée de Marie-Adeline Henry, son éloquence et, par la suite, ses accents déchirants ou pathétiques ; mais certains ports de voix, certaines violences (auréolées d'effets de réverbération), un éclat de rire sont moins convaincants au disque qu'à la scène. Elle n'en reste pas moins magistrale d'un bout à l'autre de la partition. À l'inverse, l'intermède instrumental (à l'acte II) où les démons déguisés en nymphes et en bergers enchaînent Renaud endormi avec des guirlandes de fleurs, languit, privé de la pantomime qu'il accompagne ; de même la ritournelle qui scinde les couplets de la Bergère (« On s'étonnerait moins que la saison nouvelle ») paraît presque atone. Il est vrai que le charme de Marie-Claude Chappuis n'en est que plus exquis quand elle reprend la parole.

À ces détails, livrés seulement parce qu'ils n'entachent pas la très haute qualité de l'ensemble, il convient d'opposer tout ce qui ravive les meilleurs souvenirs : l'entrée d'Aronte (Marc Mauillon) est aussi saisissante qu'à la scène, tout comme l'air de la Haine dévolu au même superbe artiste. Renaud, confié à Nancy à Julien Prégardien, idéal de style et de présence, l'est ici à Antonio Figueroa à qui les mêmes termes s'appliquent. L'orchestre des Talens Lyriques et son chef, chez eux comme personne dans les opéras de Lully, sont servis très fidèlement par la prise de son et ce n'est pas déprécier la prouesse du chœur de l'Opéra national de Lorraine, que de louer plus encore celle du Chœur de chambre de Namur.

La conclusion ? On a eu tort d'attendre sept mois pour s'offrir le plaisir de réécouter l'un des chefs-d'œuvre de l'art lyrique. L'Alceste de Lully est sur le point de paraître chez le même éditeur ; applaudie en concert, à Beaune le 14 juillet dernier, on n'attendra pas si longtemps pour la retrouver !

G.C.