Cyril Auvity (Orfeo), Hannah Morrison (Euridice, la Musica), Paul Agnew (Apollo, Eco), Miriam Allan (Proserpina, Ninfa), Lea Desandre (Messagiera, Speranza), Carlo Vistoli (Spirito infernale, Pastore), Sean Clayton (Pastore), Zachary Wilder (Spirito infernale, Pastore), Antonio Abete (Plutone, Spirito infernale, Pastore), Cyril Costanzo (Caronte, Spirito infernale), Les Arts Florissants, dir. et mise en scène: Paul Agnew (Caen, 28 février 2017).

DVD et BR Harmonia Mundi 98090063.63. Distr. Harmonia Mundi.

 

A l'issue d'un parcours éclairant au sein des Livres de madrigaux, Paul Agnew devait parachever son œuvre en s'emparant avec ses jeunes chanteurs de L'Orfeo : le vert printemps de son premier acte, vaste madrigal où tous excellent - cela va sans dire -, était attendu d'évidence, mais qu'en serait-il après l'annonce de la Messagiera qui fait passer abruptement du divertissement à l'opéra, ce genre noble et dramatique que Paul Agnew nous montre se formant sous nos yeux, glissant ses gestes à Cyril Auvity qui est son Orfeo, sa créature vocale et physique ?

Une révélation : par la subtilité des attitudes, l'amertume révoltée de la voix, soudain l'opéra éclate, ardent, avec ce verbe si expressif qui est le sel de l'art de Monteverdi. Cyril Auvity est tout sauf cet Orfeo solaire, autre Apollon à la lyre, qu'aura imposé le jeune Eric Tappy chez Michel Corboz et dont John Mark Ainsley seul se souvint vraiment ; il a appris son théâtre baroque chez Ponnelle, de geste, d'accents - Ponnelle qui, avec Harnoncourt, y donnait Orfeo à Philippe Huttenlocher, baryton aux mots fulgurants, à la douleur brûlante, et dont Auvity semble suivre l'exemple par la puissance expressive de son chant : écoutez seulement son adresse aux Enfers, souffrance qui n'est pas le charme que tant auront lancé avec plus ou moins de virtuosité, mais bien de l'émotion pure, de celle qui touche même les Dieux.

La compagnie de chant est finement appariée, Auvity laissant à Paul Agnew son Apollon de jadis (et comment cet Apollon le regarde, le couve avec presque du désir...) ; seul Antonio Abete débraille son chant mais on lui pardonne tant il demeure, de geste, de stature, ce Pluton qui va se laisser fléchir. Perle, la Messagiera de Lea Dessandre ; magiques les Pastori, terribles les Spiriti infernali (Zachary Wilder !), ductile et acéré le petit orchestre qui fait un théâtre si vivant, tout cela porté et enveloppé à la fois dans le geste amoureux, tendre surtout, de Paul Agnew, enclosant les tableaux vivants - animés par des éclairages fabuleux qui en peignent les émotions des visages - dans ce décor mystérieux, cercle de pierres dressées, petit Stonehenge où peut-être Apollon a lui-même placé l'action d'un drame dont il tire les ficelles, d'abord metteur en scène comme le sont les Dieux de l'Olympe. Spectacle simplissime (l'inverse du geste éclatant voulu par Ponnelle) où tout se règle par la plus évidente poésie : c'est le moins pour l'Aède de Thrace, mais c'est une vertu que le théâtre baroque aura trop bafouée dans sa renaissance à l'ère moderne. Immanquable et probablement inusable.

J.-C.H.