Marc Mauillon (Pelléas), Jenny Daviet (Mélisande), Lauren Alvaro (Golaud), Stephen Bronk (Arkel), Emma Lyrén (Geneviève), Julie Mathevet (Yniold), Stefano Olcese (le Médecin , un Berger), Chœur et Orchestre de l'Opéra de Malmö, dir. Maxime Pascal, mise en scène : Benjamin Lazar (Malmö, mai 2016).

DVD BelAir Classiques BAC144. Distribution Outhere.

 

A Nantes, Emmanuelle Bastet resserrait la trame dramatique de la pièce de Maeterlinck dans un huis clos hitchcockien ; à Lyon, Christophe Honoré, immergé dans la musique de Debussy et prenant le texte du poète au pied de la lettre, dévoilait un univers glauque, en noir et blanc, où errait cet Yniold adolescent qui voyait tout et savait tout. A Malmö, Benjamin Lazar ne nous fait pas quitter la forêt où Golaud, chasseur qui a égaré son pick-up, trouve Mélisande ; il y fera le château, la fontaine, la tour, le parc mortel et la chambre d'agonie de la « pauvre petite » qui rendra l'âme telle une Ophélie échouée sur un tronc de mélèze. Unité de lieu pour ce qui appartient encore un tant soit peu à un univers de songe, où parvient à s'infiltrer, malgré la touche années soixante des costumes et des coiffures un parfum d'Eternel retour. Pelléas a de faux airs de Gérard Blain dans son perfecto de cuir, mains dans les poches, Mélisande se veut le double de Catherine Deneuve jusqu'à la coiffure, simple façon de mettre l'opéra de Debussy dans une époque, d'en situer l'insituable, d'en borner l'action, car action il y a. Délivré des soucis d'une gestique historiquement informée, la grammaire physique de Benjamin Lazar dévoile ici toute sa puissance suggestive, celle d'un directeur d'acteurs consommé qui laisse affleurer les émotions des personnages autant par le langage du corps que par le travail sur les mots. Miracle ! Gestes et mots sont d'une simplicité absolue, faisant contrepoint à tout ce que la poésie de Maeterlinck aura suscité, dans bien des mises en scènes, d'afféteries, de maniérismes.

Admirable de naturel, évidente de simplicité, la Mélisande de Jenny Daviet sera pour beaucoup une sacrée surprise, qui fait table rase de toute fragilité mais pas de toute ambiguïté ; tout aussi évident, le Golaud sans trouble de Laurent Alvaro - l'inverse absolu de celui de José van Dam - rappelle la façon très nue dont on l'a chanté des décennies durant (le modèle fut posé dans l'enregistrement de Desormière par Henri Etcheverry) avant que ne paraissent des interprétations encombrées par la psychologie. A eux deux, ils font un surprenant couple en miroir qui laisse au Pelléas lumineux de Marc Mauilon tout juste l'espace d'une feuille de papier à cigarette pour se glisser entre eux. Il prendra à rebrousse-poil ceux qui voient et entendent leur Pelléas comme un adolescent fragile et velléitaire - ce que le grain du « baryténor » interdit, comme le tranchant de ses mots, l'ardeur de son chant peu soucieux des nuances douces, la vigueur de ses accents. Unique dans l'histoire du rôle et, au final, absolument magnifique. Evidemment il ne fait qu'une bouchée de la tessiture du duo du Parc, mais c'est dans la remontée des souterrains qu'il émeut le plus, comme s'il libérait son chant même des poisons d'un air méphitique. Ce trio implacable est entouré par une troupe subtilement accordée pour le style sinon pour les mots - je ne peux en vouloir à cette Geneviève, cet Arkel, de chanter aussi bien qu'ils le peuvent cette langue qui ne s'incarne que dans un gosier français, ce qu'accuse un peu plus encore l'Yniold parfait malgré son sexe de Julie Mathevet -, mais surtout porté par une direction ardente et tendre tour à tour. Maxime Pascal refuse de jouer les esthètes : il ne nimbe rien, fait au contraire entendre le modernisme de l'orchestre de Debussy, ses audaces, ses ellipses harmoniques éclairantes, toute une grammaire accordée à cette scène si vivante, si intense, si preste : écoutez, voyez seulement le tableau du Parc, dont le tempo est comme celui d'un cœur qui s'emballe, ce baiser bref, Golaud poursuivant de rage Mélisande. Grande et modeste soirée, qui renouvelle la vidéographie d'un opéra réputé insaisissable : pourtant il est tout entier là.

J.-C.H.