Judith van Wanroij (Orfeo), Francesca Aspromonte (Euridice), Giuseppina Bridelli (Aristeo), Victor Torres (Endimione, Caronte), Giulia Semenzato (Venere, Proserpina), Luigi de Donato (Augure, Plutone), Dominique Visse (Vecchia), David Tricou (Apollo), Ensemble Pygmalion, dir. Raphaël Pichon, mise en scène: Jetske Mijnssen (Nancy, 2016).

DVD Harmonia Mundi 9859058.59. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

Commandé par Mazarin, L'Orfeo de Luigi Rossi (1647) est le premier opéra italien expressément écrit pour la cour de France. Il connaît d'abord un succès fulgurant mais, en dépit des efforts du cardinal, la greffe du genre transalpin ne prend pas à Paris : quinze ans plus tard, l'Ercole amante de Cavalli (dont le livret est dû au même librettiste, l'abbé Buti), composé pour le mariage de Louis XIV, est boudé, et il faudra attendre encore une dizaine d'années pour que Lully crée un type d'opéra propre à notre pays. On trouve cependant en germes dans L'Orfeo bien des caractéristiques de la future tragédie lyrique française (thème mythologique, machines et descentes divines, scènes de sommeil et infernales, etc.), à commencer par la pompe et le gigantisme : exigeant une trentaine de rôles, l'œuvre originale durait environ six heures.

En l'exhumant en 1990 (en concert seulement), William Christie la raccourcissait légèrement, tandis que Raphaël Pichon tranche ici de façon plus décisive, supprimant six rôles (dont celui, assez important, de Junon) et dix scènes, mais ajoutant deux airs pour les rôles bouffes et diverses sinfonie. Même si elles modifient la tonalité de l'œuvre, les coupures sont habiles, allant dans le sens d'une mise en scène légère (car destinée à voyager, après sa création à Nancy) et très cohérente. Tout se déroule dans une grande salle couverte de boiseries, se faisant salon, temple, caveau et même monde souterrain par le jeu de quelques accessoires (chaises, tables, cercueil). La fluidité de la scénographie suggère l'unité de temps (peut-être tout a-t-il lieu le jour même du mariage, et dans la tête d'Orphée ?), tandis que les costumes, en camaïeux de blanc, noir et jaune, ancrent l'action dans le XXe siècle (à l'exception de baroques coiffures signalant dieux et démons) : les Grâces deviennent des boniches en tablier, les Parques, des croque-morts, Apollon se fait pasteur. Si l'ensemble pèche par une certaine austérité, la finesse de la direction d'acteurs, surtout durant les scènes de foule (les noces, perturbées par une panne d'électricité !), crée une réelle tension.

On n'en dira pas autant de la direction de Pichon, trop étale, jouant peu des contrastes et confrontations rythmiques, brisant les carrures mélodiques par un sostenuto constant. On doit en partie ce défaut à l'important instrumentarium convoqué (trente musiciens), peut-être conforme à celui de la création mais utilisé avec une trop grande libéralité : ici, l'alibi de la « couleur » étouffe bizarrement l'expression. En revanche, la distribution vocale est impressionnante : sensuelle Eurydice au phrasé radieux, Aristée corsé et déchiré, Orphée aux teintes peu italiennes mais à l'art suprême, caverneux Pluton/Augure, Momo tonique et vibrionnant, Apollon un peu tendu mais émouvant (Christie confiait ce rôle de haute-contre à un contre-ténor). Seul le Charon/Endymion de Torres, instable et appliqué, déçoit, tandis que, reprenant vingt-six ans après le rôle qu'il tenait chez Christie, Visse campe une Vieille certes bien acide mais perfide à souhait. Une résurrection très soignée, aux partis-pris affirmés.

O.R.