Stuart Jackson (Scipione), Klara Ek (Costanza), Soraya Mafi (Fortuna), Krystian Adam (Publio), Robert Murray (Emilio), Chiara Skerath (Licenza), The Choir and Orchestra of Classical Opera, dir. Ian Page (2016).

Signum Classics SIGCD 499. Distribution UVM Distribution.

 

Mozart adolescent se trouvait pour la première fois confronté à un livret de Metastase, et pas des plus inspirés. Pour Schratenberg, le Prince-Archevêque de Salzbourg, il brossa cette moralité en forme de sérénade, suite d'airs dont la virtuosité sans frein laisse à penser qu'ils furent écrits pour des chanteurs de première force, avec probablement dans l'oreille les voix des artistes milanais qui donnaient alors Ascanio in Alba : la tessiture meurtrière du rôle-titre n'aurait pas effrayé Giovanni Manzuoli, le créateur d'Ascanio. Mozart semble y fourbir le vocabulaire brillant et inventif qu'il emploiera à nouveau dans Lucio Silla, se souvenant du triomphe de Mitridate, il y varie autant que faire se peut les tonalités, crée des surprises par le tempo, les accents, secouant le texte sentencieux du poète dont la plume l'inspirera tout autrement pour Il re pastore. On sait que Schratenberg mourut avant de pouvoir entendre la Sérénade qui fut donnée le 29 avril 1772 pour l'intronisation de Coloredo, premier contact du prélat avec le « trop de notes » de son musicien : c'est pour lui que Mozart ajouta la « Licenza » finale.

L'ouvrage resta à prendre la poussière des bibliothèques jusqu'à ce que Leopold Hager lui redonne un second souffle en 1979, dans une belle version de concert qui trouvera son aboutissement au disque où il assembla une distribution restée inégalée (Schreier, Popp, Gruberova, Mathis). Depuis, ce Songe n'a guère encombré les rayonnages des discothèques ; il fallut attendre l'orée du XXIe siècle pour que paraisse une seconde version, sous la baguette historiquement informée de Gottfried von der Goltz, où Scipione trouvait un interprète à la mesure de sa virtuosité, Bruce Ford, revenu de Mithridate, qui en claironnait crânement les contre-ut.

Ian Page dispose, lui, d'une équipe de chant moins relevée, même si son Scipione a bien des qualités. Abonné aux travestis et aux rôles de composition, Stuart Jackson ne craint ni la stature de l'Africain - les phrasés sont pleins de superbe - ni ses défis virtuoses dont Schreier ne triomphait que par l'effort ; mais son timbre n'est guère plus engageant que celui de son confrère allemand. Les timbres varient en revanche avec brio entre la Costanza de Clara Ek et la Fortuna de Soraya Mafi ; elles sont à égalité dans la vocalise, mais face au souvenir de Gruberova et de Popp leurs personnages, si peu brossés soient-il par Metastase sinon par Mozart, ne paraissent guère. Seconds ténors parfaits, direction entre deux de Ian Page, très ciselée mais ne cherchant guère le théâtre qu'il faut y mettre (et que seul Harnoncourt aurait pu y trouver : justement il s'est abstenu de graver Il sogno di Scipione), au point que lorsque la Licenza finale paraît, qui reste la part la plus officielle (et la plus convenue) de l'ouvrage, soudain le bonheur est complet, Chiara Skerath en illuminant chaque mot. Ian Page, qui arrivera bientôt dans son cycle Mozart à Lucio Silla, serait bien inspirée de lui réserver Giunia.

J.-C.H.