Sabine Devieilhe (Bellezza), Franco Fagioli (Piacere), Sara Mingardo (Disinganno), Michael Spyres (Tempo), Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm, mise en scène : Krzysztof Warlikowski (Aix-en-Provence, juillet 2016).

DVD et BR Erato 0190295819293. Notice et argument trilingues dont français. Distr. Warner.

 

En juillet 2016 cette production du Festival d'Aix-en-Provence nous avait sidérés (lire ici). Sa parution en vidéo en ravive les émotions, magnifiées par la captation visuelle de Stéphane Metge. Difficile de ne pas redonder avec ce que nous écrivions alors : les performances musicales, théâtrales et dramaturgiques sont ici tellement fusionnées et clouantes qu'elle feront de ce DVD l'une des perles de toute vidéothèque lyrique, tous répertoires confondus. Et que tel soit le cas avec l'une des œuvres les moins opératiques de Haendel - un oratorio allégorique et édifiant - renforce d'autant l'exploit.

Aérienne de voix, déchirante d'incarnation, Sabine Devieilhe compose une Beauté inoubliable. Virtuose de chant, présence ravageuse de morgue crâne, Franco Fagioli se délecte en Plaisir retors et jaloux de sa proie. Maternelle de timbre, ambiguë dans sa tendresse, Sara Mingardo donne une épaisseur réelle à l'allégorie la plus abstraite : la Désillusion. Fiorito et tessiture (deux octaves puissantes de bout en bout) dressés en ergots d'autorité, Michael Spyrès donne au Temps une autorité sans faille. Leur Quatuor organisé en dîner familial virant en psychodrame, monté au millimètre non seulement par une Emmanuelle Haïm que l'on sent portée au meilleur d'elle même mais aussi par une direction d'acteurs époustouflante, vous laissera sans voix comme certain cinéma à l'os peut vous épuiser mentalement.

Il faut dire que Krzysztof Warlikowski, lui aussi, est à son meilleur, et l'on ne s'offusquera pas de sa plus grande audace (un extrait de film d'auteur diffusé juste avant l'entracte) tant elle se place à point (juste avant l'entracte donc sans dommage pour la partition) et dans un jeu de contrepoint distancié, non dénué d'humour, avec le propos de l'œuvre. Beauté, Plaisir, Désillusion et Temps sont ici assumés avec panache tout à la fois comme allégories et comme personnages d'une maïeutique tragique.

Voulez-vous convaincre un récalcitrant que l'opéra, y compris dans sa version la plus abstraite, ça peut donner du théâtre haletant ? qu'on peut être fidèle à un livret et à sa musique, en exprimer toutes les tensions exactes, tout en modernisant leur univers visuel ? et lui faire oublier l'écueil des da capo - tous habités ici d'intentions à la fois justes et inventives ? Offrez-lui ce Trionfo.

C.C.