Simona Saturova (la Jeune Femme), Pavol Breslik (le Spectre), Adam Plachetka (le Narrateur), Orchestre radiosymphonique ORF de Vienne, dir. Cornelius Meister (2016, live).

CD Capriccio C5315. Notice en anglais. Distr. Outhere.

 

Toutes les grandes œuvres de Dvořák semblent relever de la légende, du conte, et il n'est dès lors guère étonnant que ses (neuf) symphonies et ses (dix) opéras tendent à se rejoindre dans ces formes intermédiaires où il a excellé : le poème symphonique, l'oratorio (sacré ou profane), la rhapsodie avec chant.

La Fiancée du spectre, op. 69 - aussi sous-titrée Les Chemises de noces, comme la ballade de Jaromir Erben dont elle est tirée -, relève de tous ces genres, même si on la classe parmi les cantates. Commandée en 1884 par la Grande-Bretagne, peu après le succès remporté par le Stabat Mater et au même moment que la 7e Symphonie, l'œuvre, peu connue chez nous, continue à jouir d'une grande considération dans les pays anglo-saxons, à l'exemple des pièces de facture comparable de Mendelssohn, Berlioz ou Elgar. L'importance qu'y revêt le rôle du chœur n'est sans doute pas étrangère à ce succès outre-Manche, mais on peut imaginer que c'est la tonalité même de l'ouvrage, mêlant imagination gothique et ferveur chrétienne, qui la fait particulièrement résonner chez nos voisins. L'argument ? Une jeune femme prie, de nuit, pour le retour de son époux perdu ; on frappe à la porte - c'est lui ! L'époux entraîne sa bien-aimée dans une folle chevauchée, au cours de laquelle il la contraint à se débarrasser de son missel, de son chapelet et de sa croix. Leur course les guide jusqu'à un cimetière, où la jeune femme comprend enfin qu'elle est la proie d'un spectre - dont la sauvera, in extremis, le chant du coq. Evoquant à la fois Le Roi des aulnes de Schubert et les quatre poèmes symphoniques composés par Dvořák sur d'autres récits d'Erben, la partition, à l'orchestration scintillante, regorge de mélodies envoûtantes, aux saveurs parfois populaires (la dernière aria de basse, proche de celle de la Sorcière dans Rusalka), les magiques duos des deux « amoureux » contrastant avec les descriptions plus sarcastiques du chœur et du Narrateur.

La discographie était jusqu'ici dominée par les lectures de Jaroslav Krombholc (Supraphon, 1961) et de Gerd Albrecht (Orfeo, 1991). Face à ces imposants rivaux, Meister ne démérite guère, s'éloignant du mysticisme privilégié par le premier au profit d'une vision plus « mahlérienne », jouant, sur le vif, des contrastes dramatiques (ses tempi sont généralement vifs) aussi bien que des textures (l'orchestre et le chœur viennois se signalant par leur transparence et leur alacrité rythmique). La distribution, entièrement tchèque, brille par sa musicalité et son éloquence, mais seul le ténor Pavol Breslik apporte une véritable chaleur à son incarnation, les timbres de la soprano et du baryton manquant un peu de chair et de profondeur. Il faut dire que, si l'on attend encore une Jeune Femme idéale (le rôle, parfois bien grave, est malaisé), le Narrateur semble avoir trouvé un interprète définitif en la personne du fabuleux Ladislav Mràz, grâce à qui la version Supraphon conserve la tête de la discographie.

O.R.