Elīna Garanča (Léonor), Matthew Polenzani (Fernand), Mariusz Kwiecień (Alphonse), Mika Kares (Balthazar), Joshua Owen Mills (Don Gaspar), Elsa Benoît (Inès). Chœur et Orchestre de l'Opéra d'Etat de Bavière, dir. Karel Mark Chichon (octobre-novembre 2016), mise en scène : Amélie Niermeyer (Munich, 2016).

DVD DG 00440 073 5358. Distr. Universal.

 

Pendant l'Ouverture, un couple s'embrasse, mais on voit bien qu'il se défait. D'emblée Amélie Niermeyer fait de La Favorite un opéra de l'intimité. On ne verra guère ici les déploiements du grand opéra, encore moins le pittoresque hispanisant. Les symboles religieux, qu'il est difficile d'évacuer, ne sont plus que « de vulgaires objets cultuels » - encore que leur omniprésence derrière un grillage, qui est au début la clôture du monastère, installe une atmosphère assez pesante. Les moines en costume ont même un côté secte. Va donc pour ce décor noir et abstrait, plutôt sinistre, dans lequel évoluent le mari, la femme et l'amant, liés par une étrange relation. Léonor doit subir la violence d'Alphonse, enfant gâté de la jet-set accro à la vidéo : une projection remplace le ballet, réduit ici à trois numéros - Alphonse paraît ensuite jouer un jeu bien pervers quand il donne Léonor à son rival. Mais on peine à croire que le pauvre Fernand soit attiré par Dieu et les anathèmes de Balthazar au milieu de ces soirées mondaines paraissent assez incongrus. Tout cela ne fonctionne pas très bien et l'on ne voit guère en quoi Amélie Niermeyer « exploite le potentiel féministe du sujet ». Pour mettre en scène le grand opéra, il faut y croire.

Munich avait évidemment parié sur la prise de rôle d'Elīna Garanča. C'est elle, justement, qui déçoit, malgré la splendeur du timbre et un chant fort beau en soi. L'évolution de sa voix l'éloigne du mezzo profond qu'appelle Léonor, on sent qu'elle gonfle artificiellement son bas-médium et son grave. Elle mâche également trop ses syllabes pour se couler dans le moule du style français et, du coup, devient assez peu crédible en pécheresse tourmentée - on la préfère de loin en Carmen. A l'opposé, Matthew Polenzani, par la souplesse de l'émission, la maîtrise de la voix mixte, le raffinement des nuances et de la ligne, s'impose aussitôt, entre effusion élégiaque et élans de vaillance - il ne se dispense pas de « Oui, ta voix m'inspire » à la fin du premier acte. Mariusz Kwiecień trouve peut-être ici son meilleur rôle français, un timbre mordant mais une émission sans dureté, amant fougueux capable de s'attendrir - impeccable cantabile dans « Pour tant d'amour ». Malgré un beau grain de basse, Mika Kares, en revanche, a l'articulation beaucoup trop pâteuse pour incarner un Balthazar notable.

L'orchestre et le chœur sont du luxe. La direction généreuse de Karel Mark Chichon a le souffle qu'il faut au grand opéra, en particulier dans les finales, et s'avère très attentive aussi à la pâte sonore et aux couleurs : de quoi réhabiliter, pour les sceptiques, l'orchestre de Donizetti.

D.V.M.