William Burden (George Bailey), Talise Trevigne (Clara), Andrea Carroll (Mary Hatch), Rod Gilfry (Mr. Gower et Mr. Potter), Joshua Hopkins (Harry Bailey), Anthony Dean Griffey (l'oncle Billy Bailey), Orchestre et Chœur du Houston Grand Opera, dir. Patrick Summers (live 2016).

CD Pentatone PTC 5186 631. Distr. Outhere.

 

Avec ce nouvel opus, Jake Heggie continue d'exploiter la veine qui lui sourit depuis une quinzaine d'années : l'adaptation sur la scène lyrique d'un sujet déjà traité avec succès par un auteur et un cinéaste. Après s'être mesuré aux univers de Dead Man Walking (2000), The End of the Affair (2004) et Moby-Dick (2010), le compositeur américain s'est tourné cette fois-ci vers le très beau film It's a Wonderful Life que Frank Capra a réalisé en 1946 en s'inspirant librement de la nouvelle The Greatest Gift (1943) de Philip Van Doren Stern.

L'ouvrage est une commande du Houston Grand Opera, où il fut créé en décembre 2016, en coproduction avec le San Francisco Opera et l'Indiana University's Jacobs School of Music. Le librettiste Gene Scheer - lui-même compositeur et auteur par ailleurs des livrets de Moby-Dick et de Thérèse Raquin (2001) et An American Tragedy (2005) de Tobias Picker - a effectué une synthèse habile d'un scénario complexe aux multiples retours en arrière et où un ange gardien réussit à éviter le suicide du personnage principal, George Bailey. La principale différence par rapport au film concerne précisément cet ange qui n'est plus un vieillard débonnaire mais une jeune femme (Clara) qui assiste à toutes les étapes essentielles de l'existence de Bailey.

Sans vouloir relancer le débat autour de la délicate question du sexe des anges, on peut raisonnablement penser que Heggie a fait ce choix afin de mieux équilibrer une distribution dominée par des voix masculines. Non content de confier le rôle à une soprano, il ajoute aussi un chœur « d'anges de première classe », c'est-à-dire pourvus d'ailes, qui intervient dès le prologue et qui, par la suite, commente l'action de façon sporadique. Grâce à sa finesse d'orchestration tout en légèreté, ce « prologue dans le ciel » - comment ne pas penser au Faust de Goethe ? - constitue sans doute le moment le plus réussi d'un opéra qui se laisse écouter avec plaisir mais qui manque de substance musicale. La preuve la plus évidente se trouve dans le long tableau du deuxième acte, au cours duquel George découvre avec stupeur à quoi ressembleraient la ville et les habitants de Bedford Falls s'il n'était jamais né. Dans cette scène onirique qui joue un rôle crucial en ce sens qu'elle redonne au héros le goût à la vie, Heggie déclare tout simplement forfait et n'écrit pas une seule note. L'absence de musique met certes en exergue le caractère irréel du tableau et sa différence par rapport au reste de l'œuvre, mais la solution n'est-elle pas trop facile ? Heureusement, quelques belles trouvailles ponctuent la partition, comme le dynamique et réjouissant thème de la danse tropicale appelée « Mekee-Mekee », et certains moments possèdent un indéniable pouvoir d'émotion, toutefois bien fugitif et malheureusement émoussé par un orchestre étique ne comprenant que douze cordes, six bois, quatre cuivres, une harpe, un piano et des percussions. Nul doute qu'à la tête d'une formation plus étoffée, Patrick Summers et les musiciens de Houston auraient su conférer à l'ouvrage une plus grande force dramatique. 

En revanche, on aura du mal à surpasser la distribution réunie dans la métropole texane. Dans le rôle de George Bailey, immortalisé à l'écran par James Stewart, le ténor William Burden est somptueux. Si la Mary d'Andrea Carroll, le Mr. Potter de Rod Gilfry et le Harry de Joshua Hopkins flattent l'oreille par leur santé vocale, la révélation du coffret est la Clara de Talise Trevigne, ange gardien aux accents suaves et pleins de compassion. Malgré cette équipe remarquable, les mânes de Frank Capra peuvent reposer en paix : son film véhicule une charge émotive infiniment supérieure à celle de l'opéra de Heggie. 

L.B.