Piotr Migunov (Alex Rosenthal), Elena Manistina (Wagner), Maxim Paster (Tchaïkovsky), Vsevolod Grivnov (Mozart), Vassily Ladyuk (Verdi), Alexander Teliga (Moussorgsky), Kristina Mkhitaryan (Tania), Boris Statsenko (Kela), Ilya Romashko (la Voix), Chœur et Orchestre du Bolchoï, dir. Alexander Vedernikov (2015, live).

CD Melodiya MELCD 1002432. Distr. Outhere.

 

Un savant pas si fou que cela, installé en Soviétie après avoir fui l'Allemagne nazie, clone Verdi, Wagner, Tchaïkovsky, Moussorgsky puis enfin Mozart. A sa mort, laissés à eux-mêmes, perdus dans un monde qui n'a jamais été le leur, ils poursuivent des existences banales. Mozart se marie avec sa chère Tania (une prostituée) et, lors du toast des noces, le souteneur Kela verse un poison dans la vodka. Tous meurent sauf Mozart, mithridatisé depuis que Constance et son amant lui ont versé du mercure dans son vin voici deux cents ans.

Sur cette trame délirante où sont convoquées l'histoire de la musique et la science moderne, Leonid Desyatnikov a écrit une partition brillantissime, bourrée de citations, émaillée de parodies explosives, déployant un orchestre caméléon hérité de son maître Boris Tichtchenko. On passe sans cesse du comique au tragique, de la farce à l'élégie, le tout cousu par des ostinatos ravageurs, une vocalité débridée qui exige des chanteurs une virtuosité, une maîtrise des styles et des ambitus inhumains.

Tout cela se trouve incarné à la perfection dans cette captation de la reprise en 2015 du spectacle de la création, donnée dix ans plutôt dans le même Bolchoï de Moscou, Alexander Vedernikov dirigeant toujours cette partition décapante qui colle au livret acide, aux mots pétris d'ironie de Vladimir Sorokine. Car Les Enfants de Rosenthal est autant l'œuvre d'un écrivain que celle de son compositeur, opéra avant tout littéraire en ce que le texte en détermine les moindres inflexions de musique. Distribution en or, captation palpitante pour cet « opéra d'après la fin de l'opéra » à laquelle ne manque que l'image. Le spectacle a été filmé, gageons que le DVD suivra - ce qui sera justice car ces Enfants sont, avec Cœur de chien d'Alexandre Raskatov, l'opus majeur du nouveau théâtre lyrique russe.

J.-C.H.