Danielle de Niese (Rosina), Alessandro Corbelli (Bartolo), Björn Bürger (Figaro), Taylor Stayton (le Comte Almaviva), Christophoros Stambouglis (Don Basilio), Janis Kelly (Berta), Huw Montague Rendall (Fiorello), Adam Marsden (l'Officier), Chœurs du Festival de Glyndebourne, Orchestre symphonique de Londres, dir. Enrique Mazzola, mise en scène : Annabel Arden (Glyndebourne, 21 juin 2016).

DVD Opus Arte OA 1238 D. Distr. DistrArt Musique.

Les productions de Glyndebourne ont ceci d'intéressant qu'elles concilient souvent avec brio tradition et modernité. Le Barbier d'Annabel Arden n'échappe pas à la règle et se recommande d'emblée par sa réussite visuelle. Jouant avec raffinement sur un décor unique quasiment abstrait à dominante de bleu, tout à la fois moucharabieh et azujelos, que la lumière transforme, la Britannique évoque subtilement l'Espagne du livret sans jamais appuyer la référence. Les costumes de Rosine, le cadre de scène d'un bel orangé, quelques effets spectaculaires comme ces clavecins descendant des cintres après le second finale, tout cela concourt à surprendre et à ravir le spectateur. L'autre grand atout de la mise en scène, c'est évidemment la qualité de la direction d'acteurs qui ne manque jamais l'occasion d'approfondir le sens des situations et anime en permanence le plateau, avec l'aide d'un trio de brillants comédiens-mimes en arrière-plan, dont les interventions burlesques ne sont jamais envahissantes. L'ensemble donne cette impression remarquablement stimulante de redécouvrir l'œuvre à tout moment, comme dans la leçon de chant qui s'achève par un baiser passionné d'Almaviva à Rosine - dans lequel se concrétise le délire amoureux dont parle l'air.

Du côté musical, on n'est pas en reste. La direction allante et pleine d'esprit d'Enrique Mazzola à la tête d'un impeccable Orchestre symphonique de Londres révèle, par ses phrasés inattendus et un sens infaillible du détail instrumental, toute la saveur d'une partition décidément géniale. La volubilité du récitatif, remarquablement accompagné au violoncelle et au clavecin, contribue à la dynamique du spectacle. Danielle de Niese aborde Rosine dans sa version soprano mais avec un timbre corsé, voire parfois un peu âpre, et un mordant quasiment carnassier qui surprennent d'abord mais s'imposent rapidement, et donnent un relief inhabituel au personnage. Alessandro Corbelli, seul Italien de la distribution, apporte à Bartolo toute la verve de sa basse bouffe et sa vis comica inépuisable, faisant oublier par sa présence scénique quelques signes de fatigue vocale. La basse généreuse et l'ample physique de Christophoros Stambouglis font de Basilio un personnage plus débonnaire que véritablement insinuant. Dans le rôle-titre, le jeune baryton allemand Björn Bürger a toute l'agilité réclamée tant au plan scénique que vocal et son italien, une petite note exotique qui ne nuit pas à sa faconde. Sa voix bien timbrée et l'élégance de sa silhouette longiligne le promettent d'évidence à un bel avenir. Irréprochable stylistiquement, l'Almaviva de Taylor Stayton manque un peu de relief et de présence et l'on ne sait si l'on doit en incriminer sa personnalité ou sa conception du rôle. On comprend dès lors que, bien que la partition soit donnée intégralement - incluant même la petite scène de Fiorello au premier acte, où se fait remarquer le jeune Huw Montague Rendall - le grand air d'Almaviva n'ait pas été inclus. On a droit en revanche à l'air alternatif de Rosine au deuxième acte, écrit par Rossini pour Joséphine Fodor-Mainvielle en 1819, dont l'intérêt musical est tout relatif mais auquel la maîtresse de lieux (Danielle de Niese est en effet Mme Gus Christie) apporte toute l'expressivité possible. Si vocalement Janis Kelly manque quelque peu l'air de sorbet de Berta, transformée en gouvernante anglaise avec tailleur à carreaux, la mise en scène sauve largement les meubles. Directe, vivante, sans temps mort, la production séduit, étonne et enchante le public qui lui fait un triomphe mérité et s'impose, au final, comme une très grande réussite.

A.C.