Matthew Treviño (Dr P), Rebecca Sjöwall (Mrs P), Ryan MacPherson (Dr S, le neurologue), Nashville Opera, dir. Dean Williamson (2014).

CD Naxos 8.660398. Livret téléchargeable sur le site de Naxos. Distr. Outhere.

Premier des cinq opéras de Michael Nyman, L'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau tire son origine du célèbre livre du même titre que le neurologue Oliver Sacks (1933-2015) publia en 1985 et qui présente certaines des affections les plus étranges pouvant atteindre l'être humain. Parmi celles-ci, le scientifique attire notre attention sur l'agnosie visuelle dont souffrit un de ses patients, appelé ici Dr P, qui, en raison d'une lésion au cerveau affectant la fonction visuelle, voyait sans voir véritablement. C'est-à-dire qu'il distinguait normalement les couleurs et les formes, mais ne les reconnaissait pas et ne pouvait les associer à des objets ou des personnes. Chanteur et professeur de musique, le Dr P (mort en 1983) contournait tant bien que mal son handicap grâce à une sorte de système dans lequel il « musiquait » son monde : grâce à de nombreuses « chansons-repères » liées dans son esprit à divers lieux et tâches à accomplir, il pouvait vaquer à ses activités chez lui et en société. Fasciné par ce « cas » où la musique devient en quelque sorte un mode de survie, Nyman rédigea avec Christopher Rawlence et Michael Morris un livret dont l'action, située dans le cabinet du neurologue puis au domicile de M. et Mme P, consiste en une série de tests amenant le Dr S à établir son diagnostic. Créé en 1986 à l'Institute of Contemporary Arts de Londres, l'opéra ressortit au minimalisme et requiert, outre les trois chanteurs, un orchestre de sept musiciens : deux violons, un alto, deux violoncelles, un piano et une harpe. Un disque CBS paru en 1988 est l'écho des représentations londoniennes que dirigeait Nyman du piano.

Le présent CD a, quant à lui, été réalisé dans la foulée d'un spectacle donné en novembre 2013 au Tennessee, plus précisément au Noah Liff Opera Center de Nashville. Si le chef Dean Williamson et les instrumentistes proposent une lecture envoûtante d'une partition qui épouse parfaitement la progression du « drame » jusqu'à la terrible révélation finale, la distribution s'avère franchement décevante. Tout comme dans la version CBS, les chanteurs sont aux prises avec de grandes difficultés techniques qui gâchent en bonne partie notre plaisir. La soprano Rebecca Sjöwall fait peine à entendre dans un rôle qui sollicite beaucoup le registre aigu, tandis que les deux hommes tâchent en vain de camoufler leurs défaillances vocales par leur engagement dramatique. Comment croire un seul instant que le Dr P est un interprète réputé se produisant sur les plus grandes scènes lyriques lorsqu'on entend Matthew Treviño s'égosiller dans le Lied « Ich grolle nicht » de Schumann ? D'une qualité comparable au premier enregistrement, ce disque nous confirme que le premier « opéra neurologique » du répertoire attend encore la distribution qui puisse lui rendre parfaitement justice.

L.B.