Emiliano d'Aguanno (le Comte), Francesca Mazulli Lombardi (la Comtesse), Federico Sacchi (Blasio), Roberta Mamelli (Ernestina), Florian Götz (Lumaca), Milena Storti (Carlotta), Patrick Vogel (le Lieutenant), L'Arte del Mondo, dir. Werner Ehrhardt (2015).

CD DHM. Notice en anglais. Distr. Sony.

La première version de cette Ecole des jaloux, sur un livret de Caterino Mazzolà (futur adaptateur, pour Mozart, de La clemenza di Tito), est née à Venise en 1778, la même année que l'Europa rironosciuta dont nous avons récemment parlé. Mais ce dramma giocoso en connut une seconde lorsqu'il fut choisi pour donner le coup d'envoi à la nouvelle troupe italienne imposée par l'empereur d'Autriche Joseph II, en 1783. Ce seul fait prouve la vogue d'un ouvrage qui poursuivit triomphalement sa carrière, multipliant les reprises dans toute l'Europe. La présente intégrale (qui mêle les meilleures pages des deux versions) nous donne une idée de ce qu'était alors le goût dominant dans une Vienne boudant Mozart : une musique facile, le plus souvent syllabique, joliment instrumentée mais courte de souffle comme d'invention. Faute de prégnance mélodique, les airs passent sans qu'on s'en aperçoive et seuls les ensembles, qui flattent le métier versatile de Salieri, font dresser l'oreille : le trio de l'acte I, le quintette du II, les duos et, surtout, le « finale des fous » (acte I également) comptent parmi les meilleurs moments de l'œuvre. Employant une constellation de rôles désormais traditionnelle dans l'opéra buffa (trois couples illustrant chacune des couches sociales - noblesse, bourgeoisie, peuple - et un électron libre qui les recompose), le livret anticipe sur la future trilogie Da Ponte, particulièrement sur Così fan tutte (sous-titré l'Ecole des amants) : ici, c'est le Lieutenant qui joue le rôle que tiendra Don Alfonso, en suggérant la jalousie comme moyen de reconquérir l'amour et en entonnant un leitmotiv, « Chi vuol nella femmina trovar fedeltà », qui inspirera celui de Così. Pareillement - et même s'il y a autant de distance entre l'inspiration de Salieri et celle de Mozart qu'entre la lumière d'une ampoule et celle du soleil - la partition a certainement influé sur la musique de ladite trilogie : revu pour Nancy Storace, le rôle de la Comtesse (le seul à être vocalement exigeant) préfigure non seulement celui de la... Comtesse mozartienne mais introduit en outre (dans « Gelosia, dispetto e sdegno ») un motif que l'on retrouvera dans le « Mi tradì » d'Elvira. Il y a donc beaucoup à picorer dans cette œuvre inégale, interprétée avec davantage de tact que d'expression par Ehrhardt - auquel on doit plusieurs résurrections tout aussi prudentes d'œuvres de cette époque (par exemple, La clemenza de Gluck ou La finta giardiniera d'Anfossi, toutes deux chez DHM). L'orchestre est ravissant mais le chef n'empoigne pas avec assez de fougue des mélodies qui, du coup, peinent à s'épanouir (pensons à la cavatine d'entrée de la Comtesse ou au dernier air du Comte), fuit le sostenuto et esquive les contrastes dynamiques. En contrepartie, le continuo se fait disert, le pianofortiste n'hésitant pas à égrener quelques mesures de la Sonate alla turca de Mozart et le violoncelliste à mimer colère et frustration. Bizarrement, au sein d'une distribution de bon aloi mais dont on n'exige pas assez, ce sont les Allemands qui servent le mieux ce style très italien : Florian Götz (baryton) maîtrise à merveille le débit de mitraillette de Lumaca et Patrick Vogel (ténor) campe un Lieutenant aussi suave que manipulateur.

O.R.