At the Boar's Head 

Jonathan Lemalu (Falstaff), Eric Berry (Prince Hal), Pawel Kolodziej (Poins), Krysztof Szumanski (Bardolf), Kathleen Reveille (Doll Tearsheet), Gary Griffiths (Pistol), Nicole Percifield (l'Hôtesse), Mateusz Stachura (Gadshill).

Riders to the Sea 

Gary Griffiths (Bartley), Nicole Percifield (Cathleen), Kathleen Reveille (Maurya), Evanna Chiew (Nora), Anna Fijalkowska (la Femme), Chœur de chambre de femmes philharmonique de Varsovie, Sinfonietta de l'Opéra de chambre de Varsovie, dir. Lukasz Borowicz (2016).

CD DUX 1307-1308. Distr. DistrArt Musique.

Enregistrés au Festival Beethoven de Varsovie en 2016, ces deux courts ouvrages en un acte n'ont de commun que leur origine britannique, l'époque de leur composition (années 1925-1930) et le fait qu'ils n'aient guère rencontré alors de succès, hormis d'estime. Cependant, si le drame concentré de Vaughan Williams a connu plusieurs versions discographiques depuis 1971, l'intérêt de cette édition jumelée réside d'abord dans la première réalisation discographique de l'œuvre autrement souriante de Holst.

De fait, hors ses très fameuses Planètes, Holst reste fort peu joué hors des frontières du Royaume-Uni, et ses opéras - dont Savitri et The Perfect Scholar sont les moins inconnus - n'ont pas atteint la grande carrière internationale. Et ce At the Board's Head moins que les autres. Composé lors d'une convalescence qui le bloquait chez lui, lisant en parallèle Shakespeare et des recueils de mélodies populaires, Holst eut l'idée, en forme de pari intellectuel, d'illustrer musicalement le Falstaff de Henry VI en effectuant un collage de ces mélodies anglaises traditionnelles, n'y ajoutant que trois mélodies de son cru. C'est dans cette sélection, dans l'adaptation des mélodies au texte et dans l'orchestration raffinée qui unifie l'ensemble que l'art du compositeur s'est exprimé. L'ouvrage fut mal reçu, le mélange des genres n'étant guère du goût de la bourgeoisie contemporaine. On peut s'en étonner, car c'est bien d'un petit bijou qu'il s'agit là. Entre l'immédiateté des mélodies, certaines aisément reconnaissables même du non-spécialiste de la culture populaire britannique, la diversité sautillante de l'orchestration, la verve du personnage central, hâbleur, couard et menteur, où il sera difficile de retrouver le Falstaff plus sympathique de Verdi ou le Sir John in Love de Vaughan Williams, tout est séduisant dans À la hure de sanglier, taverne où se passent ces courtes scènes introduisant les compères Bardolf et Pistol mais aussi le fameux Prince Hal, véritable meneur du jeu des faux-semblants qui vont mener le héros à partir au champ de bataille. Interprètes polonais ou britanniques, en particulier l'excellent Eric Barry : tous sont parfaits. Quant au Falstaff somptueusement campé par Jonathan Lemalu, il offre un portrait enjoué, faux moralisateur autant qu'inconséquent. Fort séduisant ouvrage.

Basé sur une pièce de l'Irlandais John Millington Synge, Riders to the Sea est, à l'opposé, un drame de l'angoisse. Là-bas, sur une île perdue face à l'océan, la seule question que se posent les femmes est : la mer me prendra-t-elle encore ce qu'il me reste de fils ? Leur destin est d'attendre que la libération vienne avec la résignation, quand la mer aura achevé son ouvrage et qu'elles n'auront enfin plus à craindre encore et encore... Moins de 40 minutes suffisent à ce parcours pour Maurya et ses deux filles, face à cette nature qui leur a déjà pris un mari et quatre fils - un père et quatre frères. Elles sont d'une vocalité intense, soutenue par un orchestre jouant de la puissance impérieuse des éléments autant que de la tendresse infinie de l'humanité fragile, où les dernières strophes de Maurya sont tout simplement déchirantes. Le contrepoint du bruit des vagues omniprésentes, le chœur féminin atmosphérique (c'est le seul point un peu daté de l'œuvre, typique des oratorios de l'époque, et pas seulement en Grande-Bretagne) : tout tend à faire naître l'empathie, l'émotion et la compassion.

Les deux versions discographiques de ce chef-d'œuvre, celle de Meredith Davies avec Helen Watts, Margaret Price et Norma Burrows (EMI) et celle de Richard Hickox avec Linda Finnie, Lynne Dawson et Ingrid Attrot (Chandos), sont de haut niveau, comme la version vidéo de Bryden Thomson avec Sarah Walker. Cette nouveauté s'inscrit au faîte, entre une direction qui rejoint en intensité celle de Hickox et une distribution où la jeune Kathleen Reveille (une Hermia, une Zia Principessa déjà, une Dulcinée aussi, et une Miss Jessel remarquée) offre quelque chose de l'intensité primale si communicative d'une Ferrier en sus de couleurs sombres d'un timbre de mezzo profond, dépassant ainsi en émotion naturelle, en charge dramatique, les très belles prestations d'Helen Watts et Linda Finnie. Fort belle Cathleen de Nicole Percifield, voix ample et charnue tout autant, comme la Nora d'Evana Chiew, plus éthérée. C'est à cette version au pouvoir émotionnel intense qu'on reviendra désormais.

Pour les deux ouvrages, le Warsaw Chamber Opera Sinfonietta, magnifiquement emporté par Lukasz Borowicz - à qui l'on doit déjà un Turn of the Screw particulièrement réussi chez le même éditeur - trouve parfaitement le ton, comédie d'ambiance ou drame de l'attente, qui fait de ces deux œuvres bien trop négligées des must.

P.F.