Anna Netrebko (Manon), Yusif Eyvazov (Des Grieux), Armando Pina (Lescaut), Carlos Chausson (Géronte), Benjamin Bernheim (Edmondo), Münchner Rundfunkorchester, dir. Marco Armiliato (live, Salzbourg 2016).

DG 479 6828. Distr. Universal.

Anna Netrebko avait satisfait à Rome, voici deux ans et grâce à Muti, aux attentes de ceux qui voyaient en elle une puccinienne née, non encore révélée. Sa Manon peaufinée par le maestro offrait le meilleur de ses qualités de timbre et de voluptueux abandon, tout en surveillant au mieux diction et soutien, ses habituels points faibles. Le récital ensuite publié par DG sous le titre générique Verismo confirmait que l'acte IV de l'opéra inspiré de l'abbé Prévost exacerbe en effet le pathétisme sensuel de cette voix longue aux troublants harmoniques. Antonio Pappano ne pouvait cependant transcender la laideur de timbre et la rusticité du ténor Eyvazov, époux de la diva, qui déjà lui donnait la réplique.

Las! Le même est distribué ici en Des Grieux, lors de ce concert salzbourgeois dirigé par l'impétueux et pertinent Armiliato. Or si Puccini est tout entier à son héroïne attaché, il reste que son ouvrage est aussi (surtout ?) un opéra de ténor. Un ténor ici vilain, qui ouvre ou engorge son émission, s'étrangle dans l'aigu, confond douceur et mièvrerie, nasalise outrageusement son "No pazzo son!", bref : ruine la soirée. L'auditeur agressé est alors tenté de reporter sur l'objet de sa flamme une part de sa mauvaise humeur. Et de penser que cette jeune coquette de 18 printemps, fragile autant que rouée, d'un érotisme minaudant au premier acte puis tour à tour artificieuse, passionnément éprise et finalement consumée par un destin tragique, que cette héroïne, donc, trouve en Netrebko une interprète cultivant les pleins plus aisément que les déliés. Manquent ici la légèreté et la clarté de l'émission, la diaprure des couleurs, le trille, à l'occasion, la filiation avec la vocalité des premiers Verdi, la dialectique du mot et du son. Alors, même si la langueur d'"In quelle trine morbide" peut donner le frisson et la déréliction finale toucher par l'ascèse musicale à laquelle atteint "Sola, perduta", le sentiment d'une incomplétude persiste. Trois minutes des gravures d'une Magda Olivero ou de l'intégrale DVD de la production Levine avec Scotto suffisent pour mesurer l'inadéquation foncière de cette voix et de cette technique aux enjeux d'un rôle ambivalent, qu'une Callas elle-même ne put maîtriser pleinement, faute de sensualité à fleur de peau. La bonne tenue d'ensemble du cast - et notamment de l'Edmondo de Benjamin Bernheim ou du Musico de Szilvia Voros - compense ou renforce notre frustration.

J.C.