Véronique Gens (soprano), Karine Deshayes (mezzo-soprano), Edgaras Montvidas (ténor),  Nicolas Courjal (baryton), Julien Veronèse (basse), Flemish Radio Choir, Brussel Philharmonic, dir. Hervé Niquet (2014).

CD Palazzetto Bru Zane-Ediciones Singulares 10. Distr. Outhere.

Privée de son personnage central - Karine Deshayes ayant perdu, ce soir-là, sa belle voix de mezzo (lire ici le compte-rendu de notre confrère Alfred Caron) -, la recréation d'Herculanum à l'Opéra royal de Versailles, en mars 2014, avait laissé une impression mitigée : des mélodies coulant à flot quoique d'une inspiration souvent un peu convenue, une orchestration brillante, voire parfois bruyante, une action aussi étrange qu'invraisemblable (une courtisane d'Herculanum et son frère se liguent pour séduire et convertir un jeune couple de chrétiens sur fond d'éruption du Vésuve). Il en aurait fallu davantage pour qu'à la parution de l'enregistrement, dans la chaleur de l'été 2015, une envie impérieuse de redécouvrir l'ouvrage dans son intégrité (sauf le divertissement, très abrégé) prenne le pas sur d'autres urgences.

Entre temps, les révélations rapprochées du Désert, du Saphir, de Lalla Roukh, de l'ode-symphonie Christophe Colomb, de pages de musique de chambre et d'une brassée de mélodies avaient remis Félicien David à une plus juste place : celle d'un compositeur original quand il est inspiré, assez commun quand il ne l'est pas, empruntant volontiers à Weber mais plus proche d'Ambroise Thomas que de Berlioz, séduisant comme Gounod sans être aussi raffiné d'harmonie et correct de prosodie. Tôt ou tard, il fallait bien revenir à Herculanum et se demander, en le redécouvrant, pourquoi on ne l'avait pas fait plus tôt. Peur d'être déçu ? Sans doute, mais à tort.

Créé à l'Opéra de Paris peu avant Le Pardon de Ploërmel de Meyerbeer (à l'Opéra-Comique) et Faust de Gounod (au Théâtre-Lyrique), Herculanum a connu la carrière la moins longue des trois mais fut néanmoins pendant longtemps l'un des piliers du répertoire. Ne serait-ce qu'à ce titre, sa résurrection s'imposait tant la partition, qui, dans les pages célébrant les plaisirs, ne recule devant aucun lieu commun à l'effet garanti (visiblement à l'instar du Verdi du Trouvère, mais sans le génie dramatique qui transmue le plomb en or) et se garde de toute audace, donne une juste idée de ce que le public pouvait reprocher à Berlioz, à Gounod, à Bizet ou à Saint-Saëns. On comprends alors pourquoi, quand Faust passa de la scène du Théâtre-Lyrique à celle, plus vaste, de l'Opéra, Gounod crut nécessaire d'ajouter au rôle de Méphisto un air bruyant, « Minuit ! », qui semble tout droit sorti d'Herculanum. David a dû craindre pareillement que sa musique ne soit pas assez sonore pour remplir le vaste vaisseau de la salle Le Pelletier. Il n'en reste pas moins que la Romance et quatuor (« Dans une retraite profonde »), la première partie de l'air charmeur d'Olympia (« Noble Hélios »), la musique de la coupe enchantée puis l'extase du ténor, la marche nocturne des Chrétiens et le chœur « Roi du Ciel », le Credo de Lilia, pour ne citer que ces pages, sont d'une vraie délicatesse d'expression.

D'autres sont moins distinguées. Mais quiconque trouve dans le kitsch une sorte d'exotisme esthétique et l'apprécie sans mépris ni condescendance ne devrait pas ignorer plus longtemps cet enregistrement hautement tonique où l'orchestre et le chœur, galvanisés par la direction ardente d'Hervé Niquet, ne laissent pas un instant de relâche, où l'engagement et la diction parfaite des chanteurs compensent largement quelques broutilles, sachant que les stars internationales actuellement à la hauteur des exigences de ces rôles ne se soucieraient pas de les apprendre aussi à fond sans espoir de les tenir en scène.

Le livre dans lequel sont encartés les disques offre, comme les autres productions du Palazzetto Bru Zane, une somme d'informations très sûres sur le compositeur, la place d'Herculanum dans sa production puis dans l'évolution du genre et, à travers un dépouillement serré de la presse, l'accueil qu'il a reçu. Documentation de première main et qui accroit l'intérêt d'autant.

G.C.