Yuriy Mynenko (Adriano), Dilyara Idrisova (Sabina), Franco Fagioli (Farnaspe), Romina Basso (Emirena), Juan Sancho (Osroa), Cigdem Soyarslan (Aquilio), Capella Cracoviensis, dir. Jan Tomasz Adamus (2016).

CD Decca. 2h50. Notice en français. Distr. Universal.

Créé à Naples en 1734 par cinq sopranos (dont un castrat) et un ténor, Adriano in Siria est le troisième et le meilleur des quatre opéras sérias de Pergolèse : bien qu'il ait grandement modifié le texte de Métastase, vieux d'à peine deux ans - en réduisant de façon drastique le rôle-titre -, le compositeur en a parfaitement saisi les enjeux, au fil d'une partition plus complexe qu'on ne croit et remplie de chausse-trapes. Ce qui explique qu'elle n'ait été que peu gravée, ni l'enregistrement de Marcello Panni (Bongiovanni, 1986) ni celui d'Ottavio Dantone (DVD Opus Arte, 2011) ne pouvant tenir lieu d'intégrale acceptable. Première difficulté : distribuer l'œuvre, qui demande au moins deux chanteurs d'exception (pour les rôles d'Osroa et de Sabina) et un monstre sacré pour la partie de Farnaspe, taillée aux mesures inhumaines de Caffarelli. Seconde difficulté : comprendre le mouvement dramatique de la pièce, repérer ses lignes de crête, sa structure, sa rhétorique, ses allusions.

Si le premier challenge a été plus ou moins relevé ici, le second ne semble même pas avoir été repéré. Dès l'andante métronomique de l'Ouverture, on entend ce qui manque à Adamus (et à son orchestre, juste correct) pour interpréter - et non pas seulement déchiffrer - cette musique : de la sensibilité, de la finesse, et des tripes. On défie par exemple quiconque de comprendre, à l'écoute de cette lecture, que la dernière aria d'Adriano est un air de menace (et non une gentille romance). Aux récitatifs, cruciaux et heureusement donnés dans leur intégralité, il manque l'expérience du théâtre : comment peut-on débiter si platement la première scène entre Sabina et Aquilio (I, 10), qui, sans y toucher, fait basculer l'intrigue ?

Sur le papier, la distribution paraît idoine. Seul Fagioli, en effet, pouvait relever le gant de Farnaspe, et s'il affronte avec prudence le crucifiant "Sul mio cor", son incarnation du prince parthe n'en concilie pas moins fièvre juvénile et sophistication technique. Expressivement trop timide, Idrisova se tire aussi avec les honneurs des messa di voce de "Chi soffre" et des vocalises de "Splenda per voi", magistralement décochées. Même constat, plutôt positif, en ce qui concerne Mynenko, dont l'italien s'est d'ailleurs fort amélioré. On ne dira pas grand-chose de Basso, aux notes poitrinées d'une insigne vulgarité, ni de Soyarslan, un peu aigre en méchant retors. Sancho possède un joli timbre mais certainement pas les graves d'Osroa - du coup, il perd de vue la justesse dans "Ti perdi e confondi", et survole le reste. Avec un autre chef (capable de lui inspirer une ornementation de meilleur goût), il aurait pu faire illusion : mais pour véritablement percevoir la puissance du rôle d'Osroa (l'un des plus fascinants "pères" d'opéra baroque), il faut entendre ce qu'en faisait Philip Langridge sous la direction de Vittotio Negri, en 1980 (LP Voce). Au fait : quand donc Radio France nous rendra-t-elle cet indispensable témoignage ?...

O.R.