Zeljko Lucic (Carlo Gérard), Eva-Maria Westbroek (Maddalena di Coigny), Denyce Graves (Bersi), Rosalind Plowright (Comtessa di Coigny), Jonas Kaufmann (Andrea Chenier), Carlo Bosi (L'Incridibile), Roland Wood (Roucher), Elena Zilio (Madelon). Chœur et Orchestre du Royal Opera House Covent Garden, dir. Antonio Pappano, mise en scène : David McVicar (Londres, 2015).

DVD Warner Classics 01902959937966. Distr. Warner Music.

Suffit-il d'afficher les plus grands chanteurs internationaux dans les rôles principaux pour faire vivre une œuvre comme Andrea Chénier ? Certes, on peut difficilement imaginer interprète plus adapté à ce personnage de poète aristocratique et de beau ténébreux que Jonas Kaufmann. Voix de bronze à la vaillance (semble-t-il) inépuisable, le ténor domine vocalement la tessiture tendue de ce rôle héroïque avec maestria mais, curieusement, son incarnation très intellectualisée semble en permanence le maintenir hors de l'action. On attend les airs, on admire l'interprète mais on est rarement ému. Par contraste, le Gérard plébéien de Zeljko Lucic, plus direct et plus naturel, captive au delà de la simple performance vocale, notamment dans les scènes des deux derniers actes où il donne aux contradictions du personnage une réelle épaisseur. Chez Eva Maria Westbroek, le frémissement et l'engagement sont bien là. Sa « Mamma morta », fouillée jusque dans les moindres recoins, transmet bien la fragilité de l'héroïne. La voix est splendide mais il faudrait sans doute un tempérament vocal plus dramatique pour convaincre pleinement. Autour d'eux, l'ensemble des petits rôles est incarné avec compétence, depuis la Comtesse de Coigny de Rosalind Plowright jusqu'à l'Incroyable finement caractérisé de Carlo Bosi en passant par la Bersi de grand luxe de Denyce Graves. A la tête d'un orchestre et d'un chœur de très haut niveau, Antonio Pappano conduit à bon port cette représentation, avec un grand sens des contrastes et une attention permanente aux solistes qui ne sacrifie jamais la richesse de l'orchestration.

D'où vient alors que la production laisse à ce point le sentiment d'assister à un concert en costumes ? Sans doute de la mise en scène au pied de la lettre de David McVicar. Certes, un opéra « historique » comme Andrea Chénier semble offrir peu de latitude en termes de représentation et impose une certaine littéralité, mais le registre pseudo-réaliste un peu trop propret des décors et des costumes tout droit sortis de l'atelier ne saurait dispenser d'une direction d'acteurs. Elle se révèle ici d'une totale convention. La mise en scène, semblant dépourvue d'intention dramaturgique et d'autre projet que celui de servir de faire-valoir à trois grandes voix, ne parvient souvent qu'à faire ressortir une certaine grandiloquence du propos qui frise la trivialité. Significativement, une des scènes qui devrait être parmi les plus prenantes de l'opéra - celle de la Madelon sacrifiant son petit-fils à la patrie - passe sans toucher. Les amateurs de performance vocale trouveront dans cette production leur pâture mais il faut abandonner toute attente quant à la portée et au sens de l'œuvre. Avec des interprètes de moindre envergure, la mise en scène de Keith Warner au Festival de Bregenz 2011 nous avait fait une impression autrement plus forte et marquante - mais elle se confrontait à un autre enjeu que celui d'une production de luxe destinée à constituer un élément du répertoire d'une des grandes scènes du circuit international.

A.C.